Marie Montels, Philippe Gagnebet et Clarence Rodriguez avec les deux co-présidentes de Caractères. Crédits : Caractères
Journaliste indépendante en Arabie Saoudite pendant 12 ans, Clarence Rodriguez était l’une des invités du festival du journalisme de Sciences Po Toulouse, organisé par l’association Caractères, ce jeudi 23 janvier. L’occasion pour l’ancienne rédactrice en chef de RTL et France Culture de revenir sur son parcours et sur la diversité des carrières dans le journalisme.
Qu’est ce que cela représente pour vous de parler de votre expérience à des étudiants ?
On joue un rôle prépondérant de transmetteur. C’est important d’expliquer réellement ce qui se passe au sein des rédactions parce que quand on sort d’école on ne sait pas exactement comment ça se passe. On peut notamment dénoncer des abus, du sexisme dans les rédactions, sur le terrain également. Il faut le dénoncer et en parler. Moi je le vois car j’ai un certain nombre d’années de carrière derrière moi, ça n’a pas beaucoup évolué mais il faut s’imposer par la manière forte, c’est-à-dire professionnellement. On doit respecter les uns et les autres.
Qu’est-ce que vous auriez aimé entendre en tant que jeune journaliste ?
J’ai beaucoup appris sur le terrain, et j’aurais aimé qu’on m’explique ce que j’allais découvrir plus tard. D’un autre côté, comme une grande partie de l’apprentissage s’est faite sur le terrain, l’expérience des uns n’est pas forcément valable pour les autres. Ce que vous allez pouvoir vivre journalistiquement, quelqu’un ne le vivra pas de la même façon. Mais si j’avais pu apprendre un certain nombre de choses auparavant, c’est vrai que j’aurais gagné du temps.
Vous avez été journaliste sportive au début de votre carrière. Existe-t-il des types de journalisme moins accessible pour les femmes ?
Oui le journalisme sportif l’est encore. Moi je vivais ce sexisme là, mais je faisais en sorte de passer à côté et de me concentrer sur mon métier de journaliste. Ma force était de prouver au micro, quand je commentais des matchs de rugby en direct, que j’étais la meilleure. Je ne me disais pas que je n’avais pas les capacités parce que j’étais une femme. Il fallait que je prouve que j’étais meilleure que certains hommes.
Entre 2005 et 2017, vous étiez la seule correspondante accréditée en Arabie Saoudite. Quels ont été vos défis en tant que journaliste à Riad ?
J’étais une femme et en plus j’étais journaliste ! On voulait que je porte le voile. J’ai refusé. Le fait de porter un chapeau, j’avais la tête couverte. Cela a suffit pour que les autorités saoudiennes ou autre police religieuse n’insistent pas. En revanche, je devais porter l’abaya lors de mes déplacements en public. Il est arrivé que certains hommes saoudiens ne me serrent même pas la main parce que j’étais une femme. Et j’ai dû mettre 5 ou 6 ans avant de gagner la confiance des femmes saoudiennes et d’écrire mon livre.
Selon vous, certaines formes du métier de journalisme vont-elles perdurer plus que d’autres, au regard de la transformation actuelle des médias et du numérique ?
C’est vrai que l’on vit une nouvelle ère du journalisme. On est en pleine mutation avec l’intelligence artificielle qui intervient. Moi je le vois, et je me garde bien de donner des conseils parce qu’on ne fait pas le même journalisme. Cela a beaucoup évolué et changé. Il va falloir décrypter une information alors qu’on est censé la vérifier avant de la publier. Il va falloir qu’on crée des services exprès pour vérifier les informations.
Pensez-vous que ces transformations auront un impact positif ou négatif sur le métier ?
Je pense que tous ces changements n’auront pas forcément un impact négatif. Il y a toujours eu des révolutions, je pense que c’est toujours bon. Il faut revenir à une éthique, à travers le temps long, c’est-à-dire dans 20 ans ou 30 ans. C’est avec une honnêteté intellectuelle que l’on pourra imposer le journalisme. C’est comme ça qu’on le sauvera, avec des journalistes qui en veulent, qui sont pugnaces et qui souhaitent se différencier par leur personnalité.