Ce lundi 8 janvier après-midi, sept prévenus poursuivis pour des motifs plus ou moins importants étaient jugés dans la quatrième salle d’audience du tribunal judiciaire de Toulouse. Au programme : trafic de stupéfiant, refus d’obtempérer, vol aggravé… Mais surtout, misère sociale et situation dramatique.

Il est 13h56 ce lundi après-midi lorsque le premier des sept prévenus du jour s’avance dans le box des accusés. Âgé de tout juste 18 ans, celui que l’on appellera Achille a le visage grave et parle peu. Il est jugé ce jour pour détention et cession illégale de produits stupéfiants en multirécidive. Plusieurs policiers de la BST l’auraient vu céder deux sachets blancs contre de l’argent liquide avant de l’interpeller dans la foulée pour le placer en garde à vue. Ils retrouveront ensuite près de vingt bonbonnes de cocaïne dissimulées dans le matelas de la geôle, accusant le jeune de les avoir cachées là.

« Je demande à ce que vous soyez accueillis dans ce nouveau monde par douze mois de prison ferme »

« Je vous jure que c’est pas moi, il y avait 6 personnes, c’était pas moi ». Le jeune sort de son silence pour exhorter le juge à ne pas croire la version des policiers. « Vous avez une façon un peu abrupte de vous défendre », rétorque le magistrat en le regardant par le dessus des verres de ses lunettes. « Vous n’en feriez pas de même face à la perspective de dormir en prison pour la première fois ? », interroge l’avocat du jeune prévenu. « Maître, vous n’avez pas la parole », se contente de répondre le juge avant de lancer le procureur dans ses réquisitions. 

Celui-ci se lève et entame la première d’une longue série de réquisitions pour le moins sévères. Arguant que la justice a tout essayé avec ce jeune, qui compte pas moins de huit mentions au casier judiciaire à seulement dix-huit ans, le procureur est impitoyable. « Vous pouviez dire avant que vous étiez mineur et que vous alliez changer. Bienvenue dans le monde des majeurs, jeune homme, et je demande à ce que vous soyez accueillis dans ce nouveau monde par douze mois de prison ferme avec mandat de dépôt immédiat ».

L’avocat du jeune s’étonne logiquement de la peine requise, au vu de la matérialité des faits qui n’est pas établis dans ce dossier. Pas de preuves, pas de vidéosurveillance, une perquisition de cinq minutes qui n’a rien donné… Seulement des témoignages de policiers qui étaient à plus de 200 mètres au moment des faits. Sur la cocaïne retrouvée en garde à vue dans le matelas de la cellule, l’avocat du prévenu n’épargne pas les policiers. « Désolé mais d’une : c’est la honte pour les forces de l’ordre qu’une personne puisse entrer en garde à vue avec vingt bonbonnes de cocaïne sans problème. De deux : ce sont des cellules de cinq à dix personnes et encore une fois, rien n’établit qu’il s’agisse de substances apportées et détenues par mon client. Je ne vois donc pas ce que ça vient faire ici, mais c’est à l’image de tout le reste : suppositions, allégations et procès d’intention ». 

Les policiers chargés d’encadrer et de surveiller le jeune homme dans le box se regardent et esquissent un sourire, les yeux levés au ciel.

La Cour se retire pour délibérer. Après cinq minutes, l’audience reprend. Les réquisitions sont suivies par les magistrats qui prononcent un an de prison ferme avec mandat de dépôt en raison de la récidive. 

Vingt minutes chrono, délibéré compris. C’est le temps qu’aura pris la Cour pour expédier ce jugement et envoyer Achille derrière les barreaux. L’audience est levée et le silence rompu par les discussions qui reprennent dans la salle. Achille profite de ces quelques secondes de flottement pour lancer un baiser mimé par ses lèvres à sa mère, assise au premier rang, avant de repartir tête baissée, les menottes aux poignets.

« J’ai vu la porte fenêtre entrouverte alors je suis rentré pour dormir »

La deuxième affaire du jour est cocasse. Au programme : une violation de domicile pour y passer la nuit. Le propriétaire des lieux a en effet eu la surprise de découvrir au retour de son week-end de vacances sa porte d’entrée fracturée, et un homme tranquillement assoupi sur le carrelage de sa cuisine. Dans le box, le prévenu ne parle pas français et semble incrédule vis-à-vis de la scène qui se dessine sous ses yeux.

Poursuivi pour cambriolage, ce dernier nie fermement les faits. Il explique par l’intermédiaire de sa traductrice être à la rue depuis plus d’une semaine au moment des faits. Sept nuits sans dormir à cause du froid. Lorsqu’il aperçoit en marchant une porte fenêtre entrouverte et un appartement qui semble vide, il se dit alors qu’il va y passer la nuit pour y trouver enfin un peu de répit.

Soudain, le propriétaire des lieux présent dans la salle d’audience se lève et intervient. « Venez à la barre Monsieur », lance le juge, encore hilare face à l’axe de défense du jeune accusé. L’homme parle alors d’objets dérobés et accable le prévenu pendant de longues minutes.

L’exposé de l’avocat délivre cependant une toute autre version. « Vous en connaissez beaucoup des cambrioleurs qui fracassent une porte d’entrée, enlèvent leurs chaussures, s’endorment sur le sol jusqu’au retour du propriétaire et attendent la police avec lui sans broncher une fois démasqués ? ». Argument implacable. Résultat : relaxe partielle pour les faits de vol mais condamnation pour la violation de domicile avec une peine de quatre mois de prison ferme aménageables. Le prévenu repart libre, sans vraiment comprendre ce qu’il vient de se jouer à l’instant pour lui.

Plaidoirie politique contre législation « archaïque »

Il est près de seize heures lorsque Toufik, vingt-cinq ans, se présente face aux juges. Dans ce dossier, pas de grandes surprises. Le jeune homme multirécidiviste plaide coupable et reconnaît les charges qui pèsent contre lui pour détention et trafic de stupéfiant. Il explique réaliser quelques livraisons ça et là pour tenter de s’en sortir et payer les cours de danse de sa petite sœur. Il dit ne connaître ni ses commanditaires, ni le contenu des pochons qu’il doit livrer aux clients. Après avoir livré et récupéré l’argent, il le dépose dans une boîte aux lettres et se contente de récupérer le salaire qui lui revient. L’énième maillon d’une chaîne d’approvisionnement et de revente bien plus vaste en somme. 

Pourtant, le procureur voit rouge : « Vous présentez bien, vous exprimez bien, on dirait un agent commercial. Vous pourriez tout à fait travailler et n’avez aucune excuse. ». Il requiert trois ans de prison ferme avec mandat de dépôt à l’encontre de Toufik. Engoncée dans son siège, même la greffière pourtant impassible depuis le début de la session semble surprise par la sévérité de la réquisition, au même titre de la salle qui pousse un soupir d’étonnement.

L’avocat, qui n’est autre qu’Alexandre Martin, ténor du barreau de Toulouse, est complètement ahuri.

Il entre en scène et démonte point par point la faiblesse de l’instruction qui ne cherche à aucun moment à s’attaquer à la tête du réseau et se contente de fracasser « d’énièmes petits revendeurs victimes eux aussi de réseaux tentaculaires ». Le droit français en vigueur sur la question du cannabis en prend aussi pour son grade vis-à-vis de l’évolution pénale de nos voisins européens. « Si vous envoyez ce jeune homme en prison pour trois ans, il sera remplacé le lendemain même par une autre marionnette ». Un argumentaire qui semble convaincre les juges qui acquiescent à plusieurs reprises devant cette plaidoirie très politique.

Il finit par attaquer l’absurdité de la réquisition elle-même. « Il mérite d’être condamné et est prêt à assumer ses actes, mais trois ans pour ça au vu de la légèreté des saisies et du dossier ? Soyons sérieux, ça ne vaut pas trois ans. Cette réquisition vous déshonore, Monsieur le procureur ». Une ultime saillie qui semble avoir porté ses fruits lors de la délibération, puisque Toufik sera finalement condamné à 18 mois ferme non aménageables, soit la moitié de la peine requise.

Ambiance pesante

Plus le temps passe, plus l’atmosphère s’alourdit. Le procureur durcit le ton au fil des dossiers et enchaîne les salves verbales, quitte à s’éloigner du terrain du droit. À un homme de 41 ans sous obligation de quitter le territoire français (OQTF), arrêté pour vol à l’étalage, il lance : « Pourquoi vous ne rentrez pas au Maroc ? ». « Parce qu’ils ne me reconnaissent pas comme Marocain. Ici vous me dites de partir et là-bas ils me disent de rester ici, je fais quoi moi? », répond le prévenu. Le juge regarde l’avocate pour vérifier ses dires, elle confirme que ses demandes d’entrées sur le territoire marocain ont été refusées à deux reprises. « Eh bien, allez en Espagne ou au Portugal, dans des pays moins regardants que nous », renchérit le procureur tout sourire plongeant la salle d’audience dans un profond malaise. 

L’avocate interrompt la scène et réclame un retour à des débats plus sérieux : “Vous êtes en train de conseiller à un prévenu d’entrer illégalement sur le sol d’un pays européen ? Est-ce qu’on pourrait se mettre à travailler ou c’est trop demander ?” Avant d’ajouter : “Mon client a été arrêté avec en possession de deux chaussures droites complètement défoncé au crack. Ce dont il a besoin c’est d’être soigné, pas de faire 9 mois de prison qui vont reporter le problème !”.

Un dernier axe de défense qui restera lettre morte. L’homme repart avec 8 mois de prison ferme et dormira en prison le soir-même.

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