La future délocalisation de près de 150 emplois actuellement présents en Occitanie par le sous-traitant aéronautique témoigne de la situation plus contrastée qu’il n’y paraît du secteur.

Un coup de tonnerre presque prévisible. Ce mardi 7 février, le message de la direction du sous-traitant d’équipements aéronautiques Latécoère avait pris de court beaucoup de monde. À commencer par le ministre de l’Industrie, Roland Lescure, qui s’est montré « très surpris », et la présidente de la Région Occitanie, Carole Delga, selon qui il s’agissait d’un « choc » pour les salariés. Mais l’annonce de la suppression des 109 postes de l’usine de Montredon, en plus de 36 autres sur le site de Labège, ne les a pas surpris outre mesure. Florent Coste, secrétaire du syndicat CGT Latécoère, explique : « Il y a déjà eu un plan de licenciement en 2021, et depuis, la direction avait changé de discours au sujet de la nouvelle usine de Montredon. Ils ne cachaient pas qu’il y avait des difficultés et on était préparés à ce qu’ils annoncent un truc pourri. »

Cette fabrique très moderne, inaugurée en 2018 sur le site de Montredon, à l’est de Toulouse, était présentée comme « l’usine du futur » par le groupe. Moins de cinq ans plus tard, elle va être entièrement délocalisée vers des sites déjà existants, au Mexique et en Tchéquie. Ce choix est notamment justifié par des facteurs conjoncturels, comme la baisse d’activité causée par la pandémie et les difficultés techniques et commerciales rencontrées par le Boeing 787, pour lequel Latécoère fabrique des portes. Mais l’explication reste avant tout structurelle : « la construction de l’usine était une erreur stratégique, parce que sur le marché des pièces élémentaires d’avion, il y a beaucoup d’acteurs très spécialisés, détaille Florent Coste. Mais c’est un marché qui n’est pas notre cœur de métier, et aujourd’hui, la direction reconnaît qu’on aurait eu du mal à être rentable dans tous les cas. » Un problème que la CGT affirme avoir prévu dès 2016, avant même la construction de l’usine de Montredon.

L’IMPORTANTE RESPONSABILITÉ DES CONSTRUCTEURS AÉRONAUTIQUES

Cette orientation stratégique traduit une politique à grande échelle mise en place par la direction de Latécoère. « Cela s’inscrit dans la continuité de la politique de délocalisation de la production en série qui dure depuis 20 ans dans l’entreprise » fait remarquer le syndicaliste. Pourtant, ce n’est pas forcément un processus systématique dans le secteur. « Ce n’est pas quelque chose qui est particulièrement fréquent dans le secteur » indique Bernard Tagnères, responsable des secteurs métallurgie et aéronautique à la CFDT. « On observe quelques cas de délocalisation, mais les rachats de sous-traitants par d’autres sous-traitants plus gros sont plus réguliers, il y a beaucoup de regroupements. » En effet, la filière aéronautique repose en partie sur de très petites entreprises à faible capacité de financement. Leur rachat par de plus gros groupes permet à la fois d’augmenter leurs budgets, et donc leur capacité à innover, mais solidifie aussi la filière tout entière, en diminuant les risques de faillite.

Si on veut garder des emplois en France, les constructeurs doivent payer le prix qui correspond à des salaires français.

Florent coste, secrétaire de la CGT latécoère

Les logiques de Latécoère, entreprise aux presque 5000 salariés à travers le monde, restent cependant différentes de celles de petits sous-traitants. Ils sont en fait très largement dépendants des donneurs d’ordres, c’est-à-dire les constructeurs pour lesquels ils produisent. Ceux-ci ne sont en fait que deux : Boeing et Airbus. Dans l’aviation civile, destination quasi unique des pièces Latécoère, la concurrence est presque inexistante, et les deux mastodontes du secteur ont un immense avantage quand il s’agit de négocier les prix.  « La responsabilité des donneurs d’ordres est très claire, regrette Florent Coste. Si on veut garder des emplois en France, ils doivent payer le prix qui correspond à des salaires français. C’est là que se situe notre désaccord avec la direction : pour maintenir la rentabilité, nos dirigeants préfèrent diminuer les salaires en exilant la production là où ils sont plus bas. »

UN SOUTIEN PUBLIC AU CENTRE DES DÉBATS

La cas de Latécoère n’est d’ailleurs pas totalement isolé. Par exemple, Figeac Aero, à la fois un concurrent et un sous-traitant de l’entreprise toulousaine, a fait de même ces dernières années. 40% de ses effectifs sont désormais situés au Maroc, en Tunisie, au Mexique ou encore en Chine. Au-delà de cet état de fait, l’indignation autour du cas précis de Latécoère provient aussi de la situation très particulière du site de Montredon, très récente et moderne. Son image d’usine qui permettrait de pérenniser l’emploi dans la région, et, justement, d’éviter les délocalisations, avait justifié un fort soutien financier public. « L’aéronautique est généralement un secteur largement soutenu par les pouvoirs publics, par exemple via les plans ADER, qui existent depuis de longues années et prévoient des aides au développement en région, analyse Bernard Tagnères. Ces financements bénéficient à l’ensemble des entreprises du secteur. »

En plus d’aides régulières, Latécoère a bénéficié d’un coup de pouce de la mairie pour Montredon. La municipalité lui a cédé le terrain qui abrite désormais l’usine à un prix bien inférieur à celui du marché. L’entreprise a ensuite revendu le terrain construit à des banques, à un prix bien plus cher. Elle paie aujourd’hui un loyer pour utiliser le bâtiment, tout en ayant renfloué ses caisses, ce qu’elle doit partiellement au soutien municipal. Le montant total du financement public mobilisé dans la construction du site n’a pas été communiqué par la direction, mais Florent Coste n’en démord pas. « On ne lâchera pas la direction sur ce sujet, il est impératif qu’elle nous donne des éléments. On va de toute façon mandater un expert pour qu’il analyse tout ça. »

Cet appui financier des pouvoirs publics est peut-être ce qui a déclenché l’intense réaction, parfois l’indignation de certains représentants. Carole Delga a évoqué cet argument dans un communiqué de presse, tout en exprimant son soutien aux salariés, qu’elle ne compte pas abandonner. La pression politique et médiatique a d’ailleurs rouvert la porte des négociations entre la direction et les salariés, bien que Florent Coste se montre pessimiste sur cet aspect. « On sait que les discussions ne mènent jamais nulle part. Nous revendiquons l’abandon total du projet, et pour cela, il faut avant tout maintenir l’affaire dans les médias, lui donner une ampleur nationale. On doit mettre cette pression sur la direction, et on a aussi besoin des acteurs publics. » Pour l’heure, le ministre de l’Industrie a déclaré « suivre cela de très près », tandis que le Conseil régional a reçu les représentants des salariés puis la direction la semaine dernière. En attendant une issue peut-être plus favorable aux salariés que dans d’autres cas antérieurs.

Crédit image : Colin Cooke, VN-A819 Boeing 787-9 Bamboo Airways LHR 23.3.22, CC BY-SA 2.0