Lundi 18 janvier, un Observatoire de l’état d’urgence a été mis en place à Toulouse à l’initiative de la Ligue des Droits de l’Homme et des syndicats des avocats et de la magistrature pour permettre plus de transparence dans les actions menées dans le cadre de l’état d’urgence. Jean-François Mignard, secrétaire général national de la Ligue des Droits de l’Homme, explique les enjeux autour de cet Observatoire.

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Qui a pris l’initiative de créer un Obervatoire de l’état d’urgence à Toulouse?

L’idée de créer un Observatoire de l’état d’urgence est venue de la Ligue des Droits de l’Homme ainsi que du syndicat des avocats et de celui de la magistrature. Nous sommes habitués à travailler ensemble, nous avons déjà mis en place plusieurs observatoires. Ensuite, il y a d’autres syndicats comme la CGT et des associations qui se sont joints à l’initiative.

Pourquoi avoir mis en place un tel Observatoire?

A Toulouse, comme à d’autres endroits, l’état d’urgence qui était nécessaire après les attentats de novembre a vite laissé place à une volonté de continuer dans ce sens. Cet état d’urgence laisse en effet l’exécutif libre de tout contrôle judiciaire, et dans de nombreux cas, les préfectures en ont profité pour mener des actions qui n’avaient pas grand chose à voir avec la situation actuelle. C’est dans un souci de transparence envers les citoyens que nous avons mis en place l’Observatoire. C’est aussi et surtout pour éviter d’autres dérapages comme des assignation à résidence de militants écologistes ou des perquisitions arbitraires. En tout, en France, on en est à plus de 3 000 perquisitions et 400 assignations à résidence. On ne peut pas vraiment dire cependant que l’efficacité soit au rendez-vous.

Pensez-vous que Toulouse a été victime de plus de dérapages que dans les autres villes?

Je ne pense pas qu’il y ait plus de dérapages à Toulouse que dans d’autres villes. Je dis que je ne crois pas car nous n’avons pour l’instant pas de chiffres précis ou d’autres éléments que les préfectures ne veulent pas forcément donner. Mais je n’ai pour le moment pas l’impression que Toulouse ait été vraiment malmenée. Si l’on prend la Dordogne par exemple, il y a eu beaucoup plus de dérapages de la part des autorités !

«L’Observatoire veut rendre l’état d’urgence visible aux citoyens.»

Quel est le rôle précis de l’Observatoire de l’état d’urgence?

Il a trois fonctions. La première est une fonction de recueil des données, c’est-à-dire des témoignages de victimes, via notamment un numéro de téléphone spécial, des chiffres et des informations que l’on demandera aux préfectures de nous fournir. S’il y a refus de leur part, nous le signalerons aux citoyens également. Puis l’Observatoire a aussi une fonction d’analyse du contenu de ces données. Enfin, il doit donner de la transparence à l’état d’urgence, le rendre visible aux yeux des citoyens, car pour l’instant beaucoup de choses sont cachées.

Quels sont vos moyens d’actions?

Nous n’avons pas de moyens d’action précis, car nous n’avons pas de légitimité juridique ou politique. Notre principal moyen d’action est donc de dévoiler des choses cachées, notamment en disant aux victimes qu’il est possible de témoigner. Sur l’ensemble des procédures menées, on a l’équivalent de 10% des personnes qui ont demandé des comptes, mais tout le monde ne sait pas qu’il est possible de témoigner. Certaines personnes ont peur aussi.

L’Observatoire a-t-il commencé à mener des actions?

Pour l’instant, nous avons seulement commencé à faire des démarches d’auditions individuelles afin de rassembler le plus de témoignages possibles. Nous rendrons un rapport dans un mois, que nous rendrons public lors d’une conférence de presse.

A partir de quel moment considérez-vous que les autorités dépassent les prérogatives qui leurs sont accordées dans le cadre de l’état d’urgence?

Ça a commencé à partir du moment où certaines manifestations ont été interdites, comme les manifestations liées à la COP 21, et pas d’autres comme des marathons. On voit clairement ici que l’état d’urgence a été utilisé de manière politique, pour faire taire certains groupes avec des messages politiques, tout cela au nom des attentats. Il y a aussi les cas où les autorités faisaient des perquisitions chez des toxicos ou des dealers en disant que c’était lié au terrorisme. Ça n’a absolument rien à voir et c’est totalement malsain. Cela signifie que l’on peut tout justifier au nom de l’état d’urgence et qu’en plus il n’y a aucun contrôle judiciaire ! Nous avons eu des témoignages où des victimes expliquaient que les flics ne leur avaient même pas expliqué pourquoi ils avaient enfoncé leur porte en pleine nuit. Il faut être attentif à toutes ces dérives, c’est le rôle de l’Observatoire. Sans contrôle, l’état d’urgence risque de devenir l’état ordinaire.