L’historienne Laure Teulières compare l’immigration aujourd’hui avec les grandes vagues de l’immigration italienne au XXème siècle.

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Au début des années 1920, la démographie française est en berne. Pour faire face au dépeuplement des zones rurales dans le Sud-Ouest, les autorités locales promettent des terres aux étrangers qui viendront s’installer. Fuyant la crise économique et le fascisme qui monte dans leur pays, plus de 40 mille immigrés italiens répondent à cet appel. Cette histoire, Laure Teulières, maître de conférence en histoire contemporaine à l’Université Jean Jaurès de Toulouse, est venue la raconter, samedi 7 février, aux rencontre « Ritals, histoires d’une émigration ». Pour Univers-cités, elle analyse, avec son regard d’historienne, la perception actuelle de l’immigration dans la société française.

En quoi l’accueil et la perception des immigrés en France est-elle différente depuis les années 1920 et les grandes vagues d’immigrés italiens ?

Laure Teulières : La France a été un grand pays d’immigration depuis la fin du XIXème siècle, pendant l’entre-deux-guerres et après, pendant les trente glorieuses. En 1974, avec la nouvelle conjoncture économique due au choc pétrolier, elle décide d’arrêter l’immigration de travail. Les mouvements migratoires ne sont bien sûr pas totalement interrompus. Le regroupement familial fait d’ailleurs partie des droits fondamentaux. Mais l’immigration de travail est devenue beaucoup moins massive. Il y a toujours des vagues d’immigrés, liées au regroupement familial ou à des mariages. Les demandes d’asile politique sont aussi très importantes depuis la fin du XXème siècle, même si aujourd’hui en Europe la tendance générale est à sa restriction. En ce sens le contexte a changé.

Les paysans italiens qui sont venus dans la région Midi-Pyrénées dans les années 1920 étaient dans une logique de transplantation

Par ailleurs, les sciences sociales posent aujourd’hui la question de l’immigration en termes de flux, de réseaux. Les paysans italiens qui sont venus dans la région Midi-Pyrénées dans les années 1920 étaient dans une logique de transplantation, ils cherchaient de la terre. Mais à l’époque, beaucoup de migrants étaient déjà dans une logique de circulation. Ils ne venaient pas forcément pour s’intégrer et s’implanter durablement en France. Ils venaient pour y travailler un temps, parfois faire des circuits saisonniers. Cette définition de l’immigration est longtemps restée en dehors de notre champ de vision : on a construit la figure de l’immigré comme quelqu’un qui, soit reste un temps à travailler avant qu’on ne le renvoie chez lui, soit s’implante, s’assimile, comme les italiens des années 1920. Aujourd’hui, on étudie ces phénomènes d’immigration sur la base de facteurs de mobilité complexes, où les acteurs ont une stratégie propre de circulation.

Il y a eu dans la France des années 1940 un fort rejet des immigrés italiens. Or on observe à nouveau en France, depuis quelques années, une montée de la xénophobie. Comment l’expliquez-vous ?

Les épisodes xénophobes, en France comme dans d’autres pays, sont liés à des situations de tensions économiques, politiques ou diplomatiques. Ces tensions réactivent des stéréotypes qui existent en fait préalablement dans toutes les sociétés. La peur de l’autre est un phénomène anthropologique. Mais les contextes de crise créent des effets d’engrenage, d’incompréhension mutuelle qui peuvent fragiliser la situation sociale des immigrés.

La peur de l’autre est un phénomène anthropologique, mais les contextes de crise créent des effets d’engrenage.

En France, plusieurs enjeux sont à saisir pour comprendre la situation actuelle, qui voit en effet la montée de la xénophobie : un chômage structurel, qui, depuis la fin des années 1970, touche en particulier la jeunesse ; la problématique des quartiers, où sont reléguées des populations qui ne parviennent pas à sortir de leur condition ; une discrimination, qui, à cause de leur origine, leur couleur de peau ou leur habitat, met à l’écart de la société des Français, nés en France, citoyens français. Cette xénophobie est particulièrement visible depuis les années 1980 et la montée en puissance du Front National, qui instrumentalise cette situation pour en faire un fond de commerce politique.

Quelle est la réalité de ces “problèmes d’intégration » dont on parle beaucoup actuellement ?

En tant que chercheuse en sciences sociales, je me méfie de ce terme d’intégration. On peut bien sûr parler d’insertion des gens dans leur environnement, leur milieu de travail. Le milieu ouvrier a par exemple été un lieu de socialisation, de sociabilité pour les immigrés. Mais on a construit le mot « intégration » avec une charge particulière, supposant que les immigrés ne sont pas intégrés et qu’ils ont un parcours à faire pour s’intégrer. C’est un mot plein de présupposés : les immigrés devraient par exemple devenir Français en gommant totalement l’expression de leur différence culturelle. Or, ces présupposés pèsent de manière différenciée. La manifestation d’aujourd’hui [« Ritals, histoires d’une émigration » ndlr] prouve qu’il est tout à fait valorisé de se dire franco-italien. Mais peut-on permettre la même chose aux gens qui sont d’origine maghrébine ou algérienne ? Cela sera perçu avec un soupçon de communautarisme. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des crispations communautaristes en France, mais il y a là aussi une manière de stigmatiser certains immigrés ou certains descendants d’immigrés, même s’ils sont Français.