Connu pour avoir cosigné La galaxie Dieudonné et mis sur pied le réseau antifasciste Ras l’front, André Déchot a donné à Toulouse, jeudi 5 février, une conférence sur la pénétration des idées d’extrême-droite dans différentes sphères sociales.

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© Flickr/Vincent Jarousseau Photographies

L’Université Populaire de Toulouse a organisé la conférence conjointement avec la Ligue des Droits de l’Homme, au sein de laquelle Déchot coordonne le groupe de travail « extrême-droite ». L’événement répond au contexte de radicalisation des droites en Europe. Pour Déchot, l’extrême-droite place « l’appartenance ethnoculturelle au centre du son programme, pour faire diversion sur les questions sociales et économiques ». Rencontre.

Univers-cités : Comment se manifeste la montée en puissance de l’extrême-droite sur le terrain ?

André Déchot : Au milieu des années 90, le réseaux Ras l’front s’est constitué entre-autres à cause du ras-le-bol de voir les militants du Front National vendre National Hebdo toutes les semaines sur les marchés de France. Face aux militants nationalistes sur le terrain, seuls les militants du PCF ripostaient.

«Il y a une forte implantation du FN sur des communes et des régions»

Aujourd’hui, la présence de l’extrême-droite paraît plus diffuse. On les voit peu sur les marchés, on sait qu’ils organisent des réunions d’arrondissement, de ville, de quartier, mais cela est assez discret. Il se peut que, bénéficiant d’un élan national autour de la personnalité de la nouvelle dirigeante Marine Le Pen, il y ait une force des corps électoraux qui ne correspond à aucune réalité de terrain de la présence des militants frontistes. Parfois, c’est même assez désarçonnant : il peut n’y avoir personne, et le FN fait quand même 15 ou 20 pourcents. À l’inverse, une présence forte des frontistes n’implique pas forcément de bons résultats. Il y a néanmoins une forte implantation du FN sur des communes ou des régions.

Récemment, on a vu fleurir des choses comme Génération Identitaire, l’expansion du Front National de la Jeunesse… comment comprendre ces renouvellements à l’ultradroite ?

Il y a tout un contexte de reflux idéologique et une offensive libérale et conservatrice qui remonte aux années 80. La baisse des niveaux de conscience a jeté le discrédit sur les projets de transformation sociale. En France, l’accélération de l’extrême-droite s’est construite autour de la dynamique de la Manif pour tous, contre le mariage homosexuel, et qui a permis, si ce n’est de se reconstruire, du moins de se façonner une aura.

Le Bloc identitaire, qui renforce ses effectifs, est plus dans la communication. Il forme des cadres qui, au bout d’un moment, peuvent avoir envie d’être au Rassemblement Bleu Marine, et de jouer un rôle dans la communication des municipalités comme c’est d’ores et déjà le cas.

«À Toulouse, les Jeunesses Nationalistes ont récupéré les militants identitaire après la dissolution du Bloc»

Ces groupes progressent en parallèle et même se tirent la bourre entre eux. Le Bloc identitaire, à Toulouse, était en compétition avec les Jeunesses Nationalistes (JN) — qui sont désormais dissoutes. Visiblement, les JN toulousaines avaient raflé la mise après la dissolution du Bloc. Il y a aussi une réalité de terrain : quand un drapeau nationaliste tombe, un autre débarque.

Sans comparaison outrancière, c’est ce qui s’est produit quand le parti nationaliste libéral, LAOS, en Grèce, s’est effondré. Il a créé les conditions d’émergence de l’Aube Dorée (parti néonazi grec, ndlr). Dans ce transfert, les militants rejoignent la crèmerie qui est la moins lointaine d’eux.

Par quels procédés les idées et thématiques d’extrême-droite imprègnent-elles les esprits ?

Avec l’arrivée de Marine Le Pen, on nous a joué le coup la dédiabolisation. Cela ne concerne pas tous les médias, mais une série de commentateurs et d’éditorialistes, qui tenaient à ce que la droite reste durablement au pouvoir, ont parfois tenu à créer des conditions d’alliance droite-extrême-droite.

«On vend des idées d’extrême-droite pour vendre du papier»

La libéralisation du système médiatique a largement contribué à s’attacher moins au contenu qu’à la forme du débat. Il s’agit que ça « clashe », que ça fasse du bruit. Dans une logique d’audience, l’extrême-droite fournit souvent d’assez bons clients. On vend des idées d’extrême-droite pour vendre du papier.

Dans le monde du travail, le collectif Audace véhicule les idées du Front National. Est-ce la seule courroie de transmission ?

Par le passé, dans les années 80, il y avait un Front Anti-chômage. Mais pour l’instant, à part ce collectif Audace qui mise sur les profils « jeunes entrepreneurs aux dents longues », je n’ai pas vu d’outil à la périphérie du Front National qui s’adresserait aux jeunesses populaires. On voit que c’est en cours. Avec le collectif Racine, ils travaillent le secteur éducatif, avec le collectif Marianne, ils travaillent la jeunesse scolarisée.

On a vu que la « priorité nationale » est incompatible avec le syndicalisme, surtout international, puisque ce principe s’oppose à l’égalité entre tous les travailleurs.

Le FN a récemment dévoilé son programme d’« écologie patriote ». Cela vous semble crédible ?

Cela fait longtemps qu’ils travaillent les questions écologiques. Dans les années 70, c’était déjà le cas mais l’écologie patriotique, je ne suis pas convaincu.

En revanche, ce qui serait crédible c’est un positionnement en retour aux racines barrésiennes sur l’enracinement, le terroir, l’attachement à la terre, le tout face au « mondialisme »… C’est d’ailleurs un peu le créneau qu’occupe le mouvement d’Action Sociale, sortes de néofascistes mouvementistes avec un niveau de réflexion assez important.Il y a peut-être des choses à grappiller.