Dans une étude publiée le mois dernier, des chercheurs américains ont dévoilé leurs travaux sur une pilule contraceptive pour hommes “à la demande”, sans hormone et efficace à 99%. Une nouvelle technologie révolutionnaire ? Pour Erwan Taverne, cette annonce n’est pas le signe d’une avancée majeure.

Co-fondateur de l’association GARCON qui milite pour la recherche et le développement de méthodes contraceptives, Erwan Taverne est lui-même un homme contracepté depuis plusieurs années. Il défend l’idée d’une maîtrise indépendante de sa propre fertilité, quelque soit son sexe. Interview.

Que pensez-vous de cette nouvelle pilule pour hommes “à la demande”, à prendre avant le rapport et aux effets temporaires ?

Cela fait 50 ans que l’on annonce régulièrement l’arrivée prochaine d’une pilule pour hommes, de la nouvelle méthode qui pourrait être la panacée à venir. En parallèle, cela fait 50 ans que les hommes délèguent massivement la contraception aux femmes, alors que nous avons déjà des méthodes qui fonctionnent très bien. Déjà, le préservatif, que l’on oublie. Ensuite, la vasectomie, très peu répandue en France, même si l’on observe actuellement une explosion de la demande. Et puis, la méthode thermique, que personnellement j’utilise depuis sept ans. 

Alors, plutôt que d’attendre une méthode miraculeuse, parfaite, pourquoi ne ferions-nous pas avec ce qui existe déjà ? D’autant qu’il est important de rappeler que les méthodes dédiées aux femmes ne sont pas parfaites elles-mêmes. Elles ont des effets indésirables connus, documentés, avérés. Pourtant, cela n’empêche pas leur utilisation. 

Si la contraception masculine est déjà une réalité, pourquoi la charge contraceptive reste essentiellement féminine ?

Il manque beaucoup de financements pour que tout cela puisse se structurer. Il faudrait financer la recherche, la formation des professionnels de santé, et aider le travail de terrain qui est fait par les associations, afin d’accompagner les gens dans leur démarche de contraception. 

Cela dit, aujourd’hui, le principal levier qui fait avancer cette question est l’intérêt que portent les femmes à ces questions. Les hommes qui acceptent de venir dans nos ateliers le font majoritairement parce que leur partenaire a des difficultés avec sa contraception. Plus il y aura de femmes qui se refuseront à porter seules la charge contraceptive pour leur couple, et plus il y aura d’hommes décidés à s’impliquer. 

Cela ne représente-t-il pas une autre forme de charge, pour les femmes ?

Je ne suis pas convaincu de cela. Je pense au contraire qu’il y a une histoire d’empouvoirement. Si la charge contraceptive porte essentiellement sur les femmes, c’est parce que ce sont elles qui acceptent cette situation. Savoir poser une limite, la faire respecter, coûte que coûte, c’est de l’empouvoirement. Malheureusement, il s’agit d’une compétence qui n’est pas suffisamment travaillée chez les filles, à qui on apprend plutôt à se soumettre, à obéir, plutôt qu’à défier les règles. 

Avec votre association GARCON, quelles actions mettez-vous en place pour encourager cet “empouvoirement” ?

Nous organisons des interventions. Le public est généralement constitué de deux tiers de femmes très intéressées, pour un tiers d’hommes plus ou moins curieux, souvent décidés par l’initiative de leur compagne. Nous commençons par dresser un paysage de ce qu’est la contraception (féminine) sur le plan historique, et en termes de statistiques plus actuelles, en France et dans les autres pays. Cela permet de mesurer les enjeux ainsi que de voir l’importance de développer les méthodes proposées aux hommes. 

Nous montrons également que nous disposons de tous les moyens pour mettre ces dernières en œuvre, et ce, dans un très court délai. Il suffit de quelques mois pour la méthode thermique, et le préservatif est efficace immédiatement, par exemple. Il nous semble important de les informer sur l’intérêt d’adopter une double contraception. Puisqu’aucune contraception n’est efficace à 100%, la femme et l’homme, dans un couple, peuvent chacun décider de porter la responsabilité de leurs propres gamètes (ndlr : cellules reproductrices)

Êtes-vous optimiste concernant la possibilité d’une contraception plus égalitaire ?

Pour moi, la crise de la pilule en 2013 a fait émerger cette question, et celle-ci va continuer d’exister. Nous l’observons également avec le mouvement #MeToo, qui a permis à de nombreuses femmes de prendre conscience de certains enjeux et surtout, d’exprimer leur refus d’une situation injuste. Dans le siècle écoulé, les femmes ont gagné ou fait avancer beaucoup de combats qu’elles ont menés. Et qu’elles n’abandonneront pas. 

Donc la véritable question qui se pose, c’est combien de temps cela va prendre pour faire évoluer la société, comment accélérer les avancées réalisées sur cet enjeu, et comment parvenir à impliquer davantage les hommes. Il y a encore du travail, mais je pense que cela ne peut que finir par émerger.

Crédits photo : Erwan Taverne