Et si la contraception n’était plus seulement une affaire de femmes ? Des chercheurs américains ont réussi à développer une pilule contraceptive pour hommes, sans hormone et efficace à 99%. 8 hommes sur 10 ne seraient pas opposés à l’idée de partager la charge contraceptive dans leur couple, selon une étude récente, mais le sujet reste sensible. Entre espoir d’égalité et réticences, la contraception masculine fait encore débat.

Dans un couple, une seule personne porte majoritairement la responsabilité de la contraception : la femme. Elles seraient 68%, âgées de 25 à 34 ans, à utiliser une pilule, un implant ou un stérilet. Pourtant, elles reconnaissent également l’aspect contraignant et dangereux pour la santé de ces méthodes féminines, d’autant plus depuis la crise de la pilule de 2012, liée au risque de thrombose veineuse associé à son utilisation. Une charge sur le corps et l’esprit qu’une pilule spécifiquement dédiée aux hommes pourrait diminuer. 

Demain, la pilule pour hommes ?

Le 14 février dernier, jour de la Saint-Valentin, une nouvelle étude publiée dans la revue Nature Communications dévoile une piste prometteuse pour l’élaboration d’une pilule masculine. Si elle n’a pas encore été testée sur l’homme, ses résultats sur les souris sont pour l’instant concluants. À l’inverse de la pilule féminine, celle-ci aurait un effet “ponctuel” et devrait se prendre avant le rapport, en empêchant la mobilité des spermatozoïdes pendant quelques heures. Aucun effet secondaire n’a été signalé, ce qui pourrait en faire une véritable alternative contraceptive pour les couples. 

Cette découverte, largement relayée par les médias et souvent qualifiée de “révolutionnaire”, est attendue par de nombreuses femmes ou hommes qui considèrent qu’un partage de la contraception est un enjeu majeur d’égalité. Mathieu, 43 ans, n’hésiterait pas à jouer sa part. Cela lui paraît “logique que ce ne soit pas forcément à la gente féminine de gérer ça toute seule”. C’est également le cas de Chloé, étudiante de 23 ans, qui rappelle qu’il s’agit d’une “activité qui se fait à deux”

Malgré son envie de partager la contraception avec son compagnon, la jeune femme reste inquiète : “on ne peut pas être sûres que l’autre ait bien pris la pilule, d’autant que les conséquences ne retomberaient pas sur lui directement. Donc cela pourrait représenter une charge mentale supplémentaire, au final”. C’est justement l’avantage de cette pilule “pré-rapport”, qui pourrait être prise devant sa partenaire. Un gage de bonne foi, qui a l’intérêt de rassurer.

Une avancée encourageante, mais loin d’être révolutionnaire

Malgré l’espoir que représente cette nouvelle méthode, cette dernière ne devrait pas rentrer dans le quotidien des couples avant de nombreuses années. En outre, il existe déjà de multiples possibilités pour les hommes, comme le rappelle Erwan Taverne, co-fondateur de l’association GARCON qui milite pour la recherche et le développement de méthodes contraceptives : “cela fait 50 ans que les hommes délèguent massivement la contraception aux femmes, alors que nous avons des méthodes qui fonctionnent très bien”.

(interview à retrouver en exclusivité sur notre site : https://www.univers-cites.fr/2023/03/11/interview-erwan-taverne-co-fondateur-de-garcon-la-contraception-masculine-existe-deja/)

Parmi ces méthodes “oubliées” : le préservatif, la vasectomie ou encore la méthode thermique, dont il est lui-même un utilisateur depuis sept ans. Cette dernière reste cependant sous-médiatisée et dans l’ensemble, suscite beaucoup de scepticisme. Pourtant, selon une étude menée en 2023, sur 1000 utilisateurs, seules six grossesses non désirées auraient été rapportées, mais dues à des personnes n’ayant pas respecté le protocole. Des chiffres plutôt positifs, prouvant un réel potentiel d’efficacité.

La méthode thermique : une contraception masculine naturelle

Actuellement, ils seraient seulement quelques milliers, à l’instar d’Erwan Taverne, à avoir expérimenté cette méthode qui consiste à remonter artificiellement les testicules plus près du corps, de manière à entraîner un léger réchauffement rendant impossible la spermatogenèse, c’est-à-dire la production des spermatozoïdes. Celui-ci regrette “le manque de financement et de supports d’information”, et plus largement le manque d’intérêt de l’industrie pharmaceutique sur la question. 

Ainsi, la commercialisation de jockstraps (héritier du “boulocho” du Dr Mieusset, andrologue au CHU de Toulouse et pionnier sur la question), ou d’anneaux de type “andro-switch” reste modeste. L’anneau contraceptif, fabriqué et mis sur le marché par la société Thorème, ne se vend actuellement qu’à une centaine d’exemplaires par mois. Malgré la demande existante, il ne bénéficie toujours pas d’une décision favorable de la police sanitaire de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) pour lui permettre une distribution à grande échelle. Par ailleurs, selon l’Ardecom (Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine), le Dr Mieusset serait le seul médecin français à prescrire les sous-vêtements et à assurer le suivi médical. 

Toutefois, pour les hommes prêts à prendre la responsabilité de leur propre fécondité, souvent pour soulager leur partenaire d’une contraception insatisfaisante, plusieurs sites Internet ou ateliers expliquent à ces profanes comment fabriquer en “do it yourself” ces dispositifs sur-mesure. Quelques bases en couture ou une imprimante 3D peuvent effectivement suffire à les créer. Malgré tout, certains soucis ont été répertoriés, particulièrement sur l’anneau contraceptif, tels que des problèmes d’irritation ou de sténose de l’urètre (compression du canal), que le jockstrap permet d’éviter.

Un autre défaut à cette méthode : comme elle n’aurait pas été testée sur un panel d’hommes suffisamment large, elle manquerait de fiabilité et pourrait représenter des risques encore inconnus. À cela, Erwan Taverne objecte qu’il en est de même pour la contraception féminine : “Il y a des effets indésirables connus, documentés, avérés. Pourtant, cela n’empêche pas leur utilisation”. Il rappelle notamment les intoxications à l’étain de la méthode Essure, qui en 2017, ont conduit plusieurs femmes à vivre un véritable calvaire physique.

La double contraception : à chacun sa méthode

Pour une égalité pleine et entière de la prise en charge de la contraception, la solution ne serait-elle pas la double contraception ? “Puisqu’aucune contraception n’est efficace à 100%, la femme et l’homme, dans un couple, peuvent chacun décider de porter la responsabilité de leurs propres gamètes (ndlr : cellules reproductrices)”, propose Erwan Taverne. 

En effet, selon un rapport de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) publié en 2009, 72% des IVG sont réalisées sur des femmes qui étaient sous contraception, et dans 42% des cas, une contraception théoriquement très efficace, d’un point de vue médical, comme la pilule ou le stérilet. La double contraception assurerait donc une forme de sécurité supplémentaire, ou complémentaire, en même temps qu’elle permettrait un partage plus équilibré de la charge contraceptive. 

Cependant, beaucoup d’hommes ne se sentent pas encore responsables. C’est ce qu’affirme Louis*, qui pense que “les femmes sont les plus à même de se contracepter, puisque ce sont elles qui présentent un risque de grossesse, et non les hommes”. Selon Erwan Taverne, le meilleur moyen de faire intégrer à la société la nécessité d’une contraception partagée, c’est grâce aux femmes. “Plus il y aura de femmes qui se refuseront à porter seules la charge contraceptive pour leur couple, et plus il y aura d’hommes décidés à s’impliquer”, assure-t-il. Il leur faudrait apprendre à poser une limite, et à faire respecter “coûte-que-coûte” ce choix. Un “empouvoirement”, comme il le définit, semblable au mouvement #MeToo et aux autres combats que les femmes ont porté ces dernières décennies. 

* Son prénom a été modifié pour une raison d’anonymat.

Photo par Marco Verch, Sexual health concept, CC BY 2.0