Depuis la rentrée 2018/2019, les missions des professeurs principaux de terminale se sont renforcées. La cause ? L’entrée en vigueur de la loi « Orientation et réussite des étudiants » (ORE). Norbert Barthen est professeur des sciences de l’ingénieur au lycée International de Colomiers. Enseignant depuis près de trente ans, il cumule presque chaque rentrée scolaire le poste de professeur principal en classe de première ou de terminale. Il revient sur ces changements, vécus pour lui comme une charge de travail supplémentaire pour des enseignants inexpérimentés dans ce domaine.

Quelles initiatives sont menées au sein de votre lycée pour aider les élèves à définir un projet professionnel et à formuler des voeux d’orientation post-bac ?

Une fois par an se tient le salon Infosup à Toulouse. La participation est obligatoire en première ou en terminale. Après, une soirée forum des métiers est organisée avec des anciens élèves ou des parents d’élèves qui viennent parler de leur profession. Mais ce n’est qu’une seule soirée. Et en terme d’actions spécifiques, il n’y en a pas tant que ça. Jusqu’à présent il y a des conseillers d’orientation qui ne sont pas spécialement affectés au lycée, mais qui interviennent dans chaque classe et présentent le mode de fonctionnement de Parcoursup. C’est plus d’ordre fonctionnel. Il y a aussi l’accompagnement personnalisé (AP) qui concerne entre autre l’orientation post-bac. Avec la nouvelle réforme, on est passé de deux  à quatre heures dans les emplois du temps des terminales avec deux professeurs principaux en charge. Sur le papier c’est alléchant, mais dans la réalité cela ne change pas grand chose : qu’est ce que vous-voulez faire en AP avec une classe de 35 élèves ? Le CDI est disponible pour faire des recherches sur Internet mais le cliquage à gauche à droite cela ne mène pas à grand chose. Pour moi, on perd juste du temps sur le contenu disciplinaire alors que c’est ce qu’il y a de plus important. Le rôle de l’éducation est de former des citoyens capables de se faire une opinion sur un sujet et de prendre des décisions.

En début d’année de terminale, dans quel état d’esprit sont les élèves ?

La difficulté pour eux c’est de se dire : « qu’est ce que je vais faire ? ». Je trouve cela aberrant de parler de champ de métiers dès la seconde quand on nous rabâche qu’à l’avenir la moitié des professions auront disparu. Donc on n’a aucune idée de ce qu’on peut faire. On peut être ingénieur mais ce métier ne sera pas le même dans vingt ans. Et puis honnêtement, il n’y a pas de prise de conscience de ce qu’est l’orientation post-bac, excepté pour quelques élèves formatés à la maison. Ils n’ont pas idée de la réalité des professions car ils vivent dans un milieu, le lycée, totalement protégé. Les élèves sont vraiment pouponnés : on leur met les langes et on leur donne le biberon (rires). A partir du moment où on les laisse libres, ils ne savent pas quoi faire de cette liberté jusqu’au moment crucial du choix de l’orientation. Cela se fait souvent par défaut pour les élèves moyens et par goût pour les bons élèves.

Pourtant, avec le nouveau régime en vigueur (accès aux ressources numériques monorientationenligne.fr, renforcement de l’accompagnement personnalisé avec deux professeurs principaux ), on peut penser que les élèves ont plus de moyens à leur disposition ?

Pour moi, une bonne préparation à l’orientation post-bac devrait être un travail individuel. Chaque élève devrait être en pris en charge une heure, une fois de temps en temps pour définir ses points forts et ses points faibles afin d’établir un projet professionnel. Ce serait l’idéal. Sauf que ce type de travail nécessite beaucoup de moyens et actuellement l’éducation n’est plus une priorité. La dernière réforme permet surtout de réduire le nombre de postes de conseillers d’orientation, alors que ce sont eux les professionnels qualifiés dans l’orientation des élèves.

La réforme sur l’entrée à l’université a renforcé le rôle du professeur principal dans le choix d’orientation des élèves. Celui-ci émet un avis sur les voeux d’orientation post-bac. Vous sentez-vous compétent pour assumer cette tâche ?

Je le rappelle, mais pour moi ce qui est fondamental c’est le rapport à une personne présente, compétente car formée pour orienter les élèves. Les deux professeurs principaux par classe de terminale doivent assurer le suivi – c’est à dire mener des entretiens individuels, les choix d’orientation post-bac et gérer les inscriptions sur Parcoursup – sans avoir les outils de coaching nécessaires. Tous les professeurs principaux ont suivi une formation, mais elle est plus axée sur la manipulation de la plateforme Parcoursup que sur des compétences de management. En plus on doit donner des avis sur des formations qu’on ne connaît même pas. Moi je peux me prononcer sur des écoles d’ingénieurs, des prépas, des IUT, mais des fois quand je vois webmaster machin, je ne connais absolument pas. Et les élèves ils viennent me voir aussi et ils me demandent : « monsieur, c’est bien cette école ? ». Voilà, aujourd’hui on nous demande d’être multi-tâches, cela devient un peu agaçant.

Voulez-vous continuer à être professeur principal ?

De moins en moins en fait. Je ne suis pas contre les élèves mais on nous propose des contraintes de travail supplémentaires. Tout est plus compliqué à gérer, on n’est pas vraiment formé à cela et on n’est pas vraiment payé pour cela non plus. Et on revient toujours à la même chose : l’argent reste le nerf de la guerre.

Voir par ailleurs : Les salons étudiants, point de départ de la course d’orientation

Propos recueillis par Tara Britton et Manon Pellieux