Les grandes lignes du projet de loi asile et immigration, communiquées en janvier 2018, ont été largement critiquées par les associations. Avocate à Toulouse, spécialisée en droit des étrangers et membre de l’association Avocats pour la défense des droit des étrangers (ADDE), Flor Tercero livre son point de vue sur certaines mesures du projet de loi.

Univers-Cités : La loi prévoit une réduction des délais d’instruction des demandes d’asile, cette mesure peut-elle permettre une amélioration de la qualité du service ?

Flor Tercero : Je crains fort que l’accélération de la procédure d’asile n’entraîne aucune amélioration. Cette procédure a déjà connu une accélération : des moyens humains ont été dégagés à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et le nombre de sections, de jugements a été multiplié. Je ne pense pas que l’on puisse accélérer plus que ça sans le faire au détriment des demandeurs d’asile. Ces demandeurs ont besoin de temps pour préparer leur dossier, surtout ceux qui ne parlent pas français. Ils doivent rédiger toute leur demande et fournir tous les documents nécessaires (certificat médical, examen psychologique, etc) en 21 jours. Le gouvernement a exclu toute possibilité de dégager des moyens pour leur permettre d’avoir un interprète. Accélérer pour accélérer cela veut dire rejeter plus de demandes d’asile et réduire les possibilités de défense des demandeurs. Cela va favoriser un rejet plus expéditif, alors que le taux est déjà à 70%.

U-C : Les associations dénoncent une multiplication des violations des droits fondamentaux des réfugiés depuis la circulaire Collomb, partagez-vous ce constat ?

F.T. : La dernière circulaire Collomb qui prévoit le recensement des étrangers placés en centre d’hébergement d’urgence consiste pour moi à cibler les étrangers pour mieux les placer en centre de rétention. C’est une mesure de traque sans réel souci de protection du droit des gens ni de la réalité, car ce n’est parfois pas possible de les éloigner. Cela montre une politique violente et des mesures de traque.

U-C : Quelle est votre opinion sur la mesure permettant une augmentation de la durée maximale de la rétention administrative (de 45 à 90 jours) ?

F.T. : A mon sens c’est une mesure punitive. Les associations qui interviennent dans les centres de rétention disent par ailleurs que cela ne sert à rien d’allonger la durée de rétention. Si au bout de 10 jours la personne n’a pas pu être renvoyée, le laisser passer du Consulat ne sera pas obtenu par la suite. Cette mesure n’a pas pour but de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement mais de punir l’étranger.

 

Flor Tercero : « Face à ce manque criant de moyens, des mesures budgétaires ont été prises comme le recours à la vidéo-audience. En termes de droit de la défense c’est scandaleux. […] Ce recours à la vidéo-audience est une façon d’invisibiliser les étrangers. »

 

U-C : Pourquoi le projet de loi prévoit-il d’étendre le recours à la vidéo-audience pour le juge des libertés et de la détention et le tribunal administratif ?

F.T. : Cette politique extrêmement violente de traque et de privation de liberté entraîne une activité importante de la justice. Beaucoup de moyens sont accordés par exemple pour l’Ofpra mais peu pour la justice ou la police aux frontières. Face à ce manque criant de moyens, des mesures budgétaires ont été prises comme le recours à la vidéo-audience. En termes de droit de la défense c’est scandaleux, il n’y a pas de public et on ne peut pas interagir de la même façon avec un juge car beaucoup de choses ne relèvent pas du son et de l’image. Ce recours à la vidéo-audience est une façon d’invisibiliser les étrangers. En les privant de venir à une audience de manière normale, on les place loin du regard de l’opinion.

U-C : Le gouvernement oppose « réfugiés » et « migrants économiques », cette distinction vous semble-t-elle fondée ?

F.T. : La notion de migration économique est facile à brandir pour disqualifier le besoin de protection de ces migrants. Pourtant, beaucoup se sont mis en grand danger pour arriver jusqu’ici. Cette disqualification justifie un discours qui détermine qui on va protéger et qui on va laisser mourir. Cette distinction fait perdre la notion d’humanité, c’est très dangereux et contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.

U-C : Comment qualifieriez-vous la politique migratoire actuelle en France ? 

F.T. : Violente et indigne du peuple français. Les Français ne sont pas représentés par cette politique. Certains essaient de résister, en se mettant en danger eux-mêmes vis-à-vis de la justice pour délit de solidarité. Nous voyons nettement la vision manichéenne de l’étranger, vu comme un danger pour la nation française et qui sert exutoire.

Propos recueillis par Elisa Rullaud