Le journal Le Monde a lancé Décodex le 1er février 2017. Il s’agit d’un moteur de recherche avertissant, par le biais d’un code couleur, le lecteur sur la fiabilité des sources de publications qu’il consulte sur Internet. Sites, blogs, chaînes YouTube ou encore publications Facebook sont passées au crible par les 12 membres de la rubrique Les Décodeurs. Une démarche qualifiée par certains de dangereusement sélective pour le paysage journalistique sur la Toile.

Alexandre Pouchard est responsable adjoint des Décodeurs au journal Le Monde, la rubrique de vérification de l’information qu’il a rejoint en septembre 2014. Venu participer aux Assises du journalisme 2017 à Tours, il précise les intentions du Décodex dans sa nouvelle version, disponible depuis le 16 mars.

Univers-Cités : Qu’est ce qui a changé dans le Décodex 2.0 ?

Alexandre Pouchard : Nous avons tenu compte des principales critiques. Notamment celle sur le code couleur, qu’on avait voulu simple au départ. La couleur verte, qui classait les sites de confiance, a été vue comme une volonté de labelliser la presse. Ce n’était pas notre intention. Pour ces même sites, on propose désormais une couleur neutre et une notice d’information sur le propriétaire du média et sa ligne éditoriale. Et si l’on repère un site diffusant de fausses informations, on parlera désormais de l’information en particulier et non plus seulement du site d’origine.

U-C : Votre travail de vérification de l’information avec les Décodeurs réclame beaucoup de temps. Comment fonctionnez-vous ?

A. P. :  Évidemment, on ne peut pas tout vérifier. Alors quand on découvre une fausse information, on en prend les principaux points pour en faire un article. Le tout est de juger le ratio entre temps d’enquête et efficacité dans l’écriture. Est-ce qu’on n’entre pas dans le jeu de ces sites en écrivant davantage sur eux ? C’est une question que l’on se pose aussi. Toute fausse information ne mérite pas un article. Alors nous évaluons uniquement celles qui ont un vrai impact sur les lecteurs.

U-C : N’y a-t-il pas un risque de ne prêcher que les convaincus ?

A. P. : La cible du Décodex ce sont les gens qui sont dans le doute concernant ce qui est écrit. Avec l’équipe des Décodeurs, non seulement on dit qu’une information est fausse mais on dit pourquoi elle l’est. Nous cherchons aussi à cibler un lectorat différent de celui du Monde. Le nôtre possède un profil particulier : plutôt jeune et branché sur le numérique. Notre défi maintenant est de sortir du format d’article traditionnel pour proposer du contenu plus visuel. Un kit pédagogique à destination des enseignants permet aussi de sensibiliser sur la prudence à l’égard de l’information. Notre message n’est pas « Lisez Le Monde ! » mais plutôt « Posez-vous la question d’où vient cette information ».

U-C : Dans une position de régulation de l’information, avez-vous développé des partenariats avec des réseaux sociaux ?

A. P. : Je n’aime pas le terme régulation, car nous ne sommes pas une autorité de régulation. On est en projet avec Facebook, avec d’autres médias français, pour le signalement de contenu. Nous pourrons vérifier toute information signalée comme fausse à Facebook. On attend aussi de voir ce que va donner une version Bêta d’un partenariat visant à diminuer la visibilité des contenus suggérés.

U-C : Les fausses informations se multiplient, y a-t-il un intérêt à les laisser courir ?

A. P. : J’ose espérer que non. Comme il n’y a jamais eu d’instance de régulation sur le travail journalistique, on préfère plaider l’erreur, dire que personne n’est parfait. Mais quand un journaliste se trompe, il doit vite corriger et mentionner qu’il a corrigé. C’est exactement ce procédé qui nous démarquera des faux sites d’information qui produisent de manière industrielle puis cachent leurs erreurs pour ne pas être mis en cause.

propos recueillis par
Thibaut Déléaz et Mathieu Delaunay