40 minutes pour un procès. Tous les jours, à partir de 14h au tribunal correctionnel, s’enchaînent les procès en comparution immédiate. Concernant uniquement les délits, et applicable aux affaires les plus simples, cette procédure accélère le processus judiciaire. Récit d’une affaire de violence conjugale, tristement banale.
14h10 : La porte du box des accusés s’entrouvre. Deux policiers s’installent. Petit moment de flottement dans la salle, le procureur va et vient, l’avocate de la défense met la dernière main à ses notes. Sur ses genoux : les conclusions de la partie civile.
14h23 : Une clochette sonne. Le président de la séance entre, tout le monde se lève. Dans l’assistance les lycéens en sortie de classe sont soudainement silencieux. C’est qu’en même temps que le président et ses assesseurs vient d’entrer l’accusé, dans son box.
« C’est une affaire de couple, ça nous regarde nous »
Le juge s’adresse en premier lieu à l’accusé. Lui demandant de confirmer son état civil. Puis rappelant les cinq mentions précédentes à son casier judiciaire. Le quinquagénaire est alors prévenu d’avoir omis, les 24, 25 et 26 février derniers, de se conformer à une ordonnance du juge des affaires familiales. On lui interdisait d’entrer en contact avec son épouse.
Puis le juge rappelle que les gendarmes sont intervenus après que sa femme les a appelés. Elle affirme qu’il a proféré des menaces de mort. « Vous n’étiez pas là » réplique le prévenu. À partir de ce moment, il interrompt très régulièrement la séance avec cette phrase. « C’est une affaire de couple, ça nous regarde nous. »
L’avocate de la défense fait la grimace. « Bien sûr que je n’étais pas là, monsieur, sinon je serais témoin et je ne pourrais pas juger de cette affaire », répond le juge. Nouvelle réponse de l’autre côté de l’estrade: « mais ça regarde que nous ! »
« Cela concerne aussi ce tribunal. Vous vous croyez au dessus des lois ? », interpelle le juge. Le prévenu secoue la tête. « C’est pas ce que j’ai dit, j’ai passé trois mois en prison, je venais juste voir mes enfants. Moi je veux pas rester à Toulouse, je veux partir à Bordeaux, j’ai de la famille là-bas. » Dans l’assistance, sa femme soupire.
14h34 : La femme du prévenu est entendue au pupitre central. Le juge en face d’elle demande confirmation des menaces de mort. L’accusé l’interrompt, comme il coupe la parole à l’avocat de sa femme. Il a la main crispée sur le rebord de la vitre et son avocate tente désespérément de l’empêcher de couper la parole aux autres.
« Il faut que la justice la protège »
14h42 : C’est au tour de la partie civile de s’exprimer. L’avocate va surtout parler de sa cliente:
« Je suis venue avec une femme courageuse. Malgré la peur, elle a fait la démarche de briser le cercle de la violence et de dire ‘’ça suffit’’. On a laissé sa chance à monsieur, plus de trois fois, et il affirme être venu récupérer ses affaires alors qu’il a déjà avec lui tous ses vêtements et ses papiers. En réalité il est venu réclamer de l’argent, le frigo, le canapé. »
Encore un éclat de voix, un peu hébété, depuis le box. « Ça vous regarde pas ! Et je lui ai dit, je te laisse la voiture. » L’avocate de la partie civile hausse le ton pour reprendre la parole:
« Vous voyez, monsieur est agressif, il est dangereux, qui sait où il s’arrêtera ? C’est pour cela qu’il faut saluer le courage de ma cliente, qui fait tout pour s’en sortir, pour élever seule ses enfants. Il faut que la justice la protège. Les fois précédentes, elle n’avait pas demandé de dommages et intérêts. Je laisse le soin au ministère public de requérir la peine qui lui semblera juste »
La partie civile requiert cette fois-ci 3000€ de dommage et intérêts.
14h51 : Le procureur se lève, sec et droit comme un i.
« J’espère que monsieur me laissera parler sans interruption. Vous l’avez vu, monsieur le président, c’est un individu insupportable. Nous sommes face à une délinquance d’habitude, avec une victime elle aussi habituelle. »
Puis le représentant du ministère public insiste largement sur le caractère récidiviste du prévenu. « Les gendarmes ont fait preuve de pédagogie, mais rien n’y fait ». Finalement la réquisition tombe, après les dommages et intérêts d’un montant de 3000€, 12 mois d’emprisonnement avec maintien en détention.
« Les faits sont caractérisés clairement. Mais… »
15h02 : L’avocate de la défense vient à son tour au pupitre. Elle fait quelques pas dans une direction, puis l’autre, en débutant sa plaidoirie. « Concernant les menaces de mort, mon client les nie et un de ses fils ne les confirme pas. » Elle demande donc la relaxe ou la requalification de ces faits précis.
« Au sujet de la violation de l’ordonnance, c’est autre chose, les faits sont caractérisés clairement. Mais je demande à ce tribunal de tenir compte de l’état psychologique et intellectuel de mon client. Il n’y a pas lieu de conclure à l’irresponsabilité pénale. Mais pour autant, il est extrêmement compliqué pour mon client de comprendre cette ordonnance de protection. »
La conclusion de l’avocate sera rapide « Vous sortez de prison, où allez-vous ? Au domicile de votre femme, c’est logique. Alors ce n’est pas bien, certes. Mais 12 mois de détention ? Alors que les menaces de mort ne devraient pas être retenues ? »
Invitant les policiers à reconduire le prévenu hors du box, le président conclut ces trois quarts d’heure de procès par « la décision sera rendue plus tard ». Sortie de la salle, l’avocate de l’accusée nous confiera « Ce genre d’affaires sordides, ici, c’est deux fois par jour ».