Toulouse, dimanche 27 septembre. Une éclairante journée « portes ouvertes » a clos la semaine des Chiens Guides d’Aveugles. A la clé : des démonstrations canines, mais également une déstabilisante animation pour se mettre dans les peau des non-voyants. Claustrophes, s’abstenir.
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« Éteignez vos portables. Éteignez-les vraiment, il ne doit pas y avoir de lumière une fois à l’intérieur. » A l’extérieur du bâtiment, dans le quartier des Argoulets, à Toulouse, tout le monde s’exécute. Shouf. Smartphones éteints, avant de plonger, trente minutes durant, dans la pénombre la plus complète. Trente minutes complètes dans la peau des non-voyants. Vraisemblablement l’animation la plus prisée par les 800 spectateurs, ce dimanche 27 septembre, dans les locaux de l’association Chiens Guides d’Aveugles, pour la journée de clôture de cette semaine consacrée aux moyens d’accompagner la cécité.

Une ambiance oppressante

En file indienne, le groupe de vingt personnes franchit la porte, avant de pénétrer dans un sas où l’on se déshabitue de la pleine lumière. A tâtons, l’on crapahute ensuite dans une salle entièrement noire, guidés par la voix de l’animatrice. L’obscurité est parfaite. La gêne occulaire, énorme. Chaises en plastique, tables rectangulaires, se métamorphosent en d’obscurs obstacles dans cet univers hostile, rempli d’objets non identifiables.

« S’il y en a qui nous lâche, il se perd dans la vide spatial », plaisante un participant. Comment se repérer ? L’expérience sensorielle est oppressante : comme une impression d’être cloué au fond d’une piscine. Plongé dans le noir, tout le monde parle subitement fort. On se rabat également sur notre sens tactile : les mains se baladent maladroitement pour éviter les collisions. Façon de compenser la perte du sens visuel ? Enfin, on bataille pour s’asseoir sans accrocs sur une des chaises dispersées dans la pièce où se déroule l’exercice.

Sans rien y voir, quelle différence entre une tomate et une prune ?

L’animatrice nous confronte à des situations vécues au quotidien par les aveugles. Les difficultés s’amoncellent. On se passe une corbeille pleine de fruits et de légumes. On y tâte ces curieux végétaux. Comment distinguer une prune d’une petite tomate, sans rien y voir ? Les doigts autour de ce qui semble être un brocoli, on se demande ce qui le différencie d’une branche de choux fleur…

« On est comme seul au monde », résume une participante. Seuls les sons et les formes permettent de reconnaître ce qui nous entoure. Négociant dans l’obscurité, une jeune fille est prise de doutes existentiels : « Comment font-ils, les aveugles, pour se maquiller, ou se mettre du vernis ? » Réponse désabusée de l’animatrice : « C’est plutôt compliqué… » Lorsque, étape suivante, le groupe s’échange des pièces de monnaie, les aspérités des rondelles métalliques permettent d’identifier fastidieusement le montant que l’on recherche. Quant aux paires de chaussettes, les assortir par paire réclame un travail patient et héroïque.

Une accessibilité imparfaite

A la sortie du local, les yeux se réadaptent doucement à la lumière du jour. « L’expérience est très déstabilisante, je me sentais enfermé… », lâche Nicolas dans un haussement de cils. Jeannine frissonne encore. « Ma petite de 13 ans est non-voyante, et ma mère est en train de perdre la vue. Je voulais me rendre compte de ce qu’ils vivent ».

Et pour l’heure, la vie citadine est encore loin d’être impeccablement adaptée aux non-voyants, en dépit de quelques aménagements. « Tous les claviers numériques, dans les banques et les supermarchés, signalent la touche 5 grâce à du braille pour les non-voyants», note l’animatrice. Il y a aussi les marques au sol qui signalent les escaliers.

Des installations encore insuffisantes. « Pour faciliter la vie aux non-voyants, il y a encore du boulot », souligne Séverine Boiron, chargée de la communication de l’association Chiens Guides d’Aveugles Toulouse Grand Sud. « Les lieux de loisir, les piscines, les patinoires, les commerces de proximité sont très peu adaptés. Les taxis refusent même parfois de prendre des non-voyants, sous des prétextes fallacieux, comme par exemple en feignant une allergie aux poils de chiens… C’est parfois dû à une appréhension du handicap, voire une réticence, mais aussi à une méconnaissance de la loi », insiste-t-elle.

Si le cadre légal destiné à améliorer l’accessibilité des personnes non-voyantes existe depuis le 11 février 2005, avec la loi sur le handicap, c’est aussi les têtes qu’il s’agit d’aménager.