C’est une onde de choc pour le monde culturel : dans l’Hérault, le président du conseil départemental, Kléber Mesquida (PS), a décidé de supprimer 100 % du budget alloué à la culture. Entretien avec Ludovic Nicot, musicien permanent d’orchestre et délégué syndical à l’Opéra et orchestre national de Montpellier.

Univers-Cité : Quel impact va avoir cette décision sur le monde de la culture ?

Ludovic Nicot : Il va y avoir des projets annulés, des salariés licenciés, des intermittents qui ne feront plus assez d’heures pour accéder au statut… Mais les acteurs de la culture forment tout un écosystème, il est difficile d’établir clairement les conséquences. C’est un tissu très large de différents métiers et structures. À l’Opéra et orchestre national de Montpellier, par exemple, il faut un premier budget rien que pour faire tourner la maison. Et après, il y a les dépenses artistiques. C’est cette marge qui se rétrécit : celle qui permet de financer les artistes, des nouveaux projets, les médiations culturelles… Nos directions sont dans un jeu d’équilibristes permanent pour réussir à boucler des budgets tout en répondant aux attentes du public. En supprimant les subventions départementales, ce qu’ils font, c’est qu’ils érodent le système petit à petit, sans un bruit. Ces brèches qui ont été ouvertes, elles l’ont été par des politiques de droite comme de gauche… C’est une idéologie qui se diffuse selon laquelle les services publics ne seraient pas essentiels. Tout le maillage culturel mis en place depuis 50 ans sur le territoire, toute cette volonté politique d’irriguer le pays d’offres culturelles et toute l’évolution de ce travail-là. Tout ça est mis à mal d’un seul coup par des choix individuels.

Est-ce que les représentants du monde de la culture ont été concertés dans ce processus de décision ?

C’est une décision totalement unilatérale. Il y a eu une stupéfaction absolue de tous les professionnels de la culture. On est face à un vrai rouleau compresseur. Les décisions se font sans aucune concertation avec les milieux concernés. Désormais, pour nous, l’enjeu est de suivre et de soutenir, par les syndicats notamment, les intermittents précaires et les structures indépendantes. Car ce sont ceux qui sont le plus affectés directement. Cette réponse s’organise, de la part du milieu culturel, dans le but de faire basculer les décisions. On aimerait au moins être autorisés à discuter autour d’une table. Lorsqu’on supprime une ligne comptable, on supprime une ligne comptable, point. Mais quand on discute avec les gens et qu’on met des visages, des vies, des projets et des situations sur ces lignes comptables, c’est autre chose. Ce qui serait important, c’est de pouvoir effectivement défendre et argumenter la nécessité du maintien de ces budgets en direct. Mais pour l’instant, c’est un temps de lutte. On va essayer de faire basculer des décisions qui pour l’instant ne sont pas actées.

« L’offre culturelle va se réduire et la suppression de la culture va se faire sans bruit »

Ludovic Nicot, musicien permanent d’orchestre et délégué syndical à l’Opéra et orchestre national de Montpellier

Si il n’y a plus d’argent dans les caisses, qu’attendez-vous des négociations ?

Le département peut, bien sûr, se cacher derrière des discours selon lesquels ils n’ont pas le choix. Mais en réalité, l’ensemble des départements et des régions sont touchés par cette politique d’austérité. Pourtant, tous n’ont pas pris cette décision. Les choix sont autonomes, et la décision qui a été prise, elle a été prise ici, elle n’a pas été prise ailleurs. On ne peut pas réduire la discussion ainsi et se contenter d’expédier le débat. Effectivement, tout cela est très complexe. C’est pourquoi il faut se poser, il faut qu’il y ait des documents, des chiffres, tout ça doit se réfléchir et se construire avec les acteurs du monde de la culture. Suite à cette prise de décision unilatérale, le département a immédiatement lancé une pétition pour mettre le gouvernement devant ses responsabilités. Tout le monde se renvoie la patate chaude. Mais ce qu’on constate, c’est qu’il y a déjà eu des attaques du département sur des dispositifs culturels avant que le gouvernement annonce ses coupes budgétaires drastiques. Donc s’il s’agit d’un choix politique pour mettre le gouvernement face à ses responsabilités, je ne crois pas que ce soit un choix pertinent. Parce qu’il ne fait que valider la politique d’austérité qui est menée actuellement, et relayer la culture au rang de bien non-essentiel. La culture ne doit pas être une variable d’ajustement.

Quelles sont les conséquences d’une telle décision pour les habitants de l’Hérault ?

Ça va toucher beaucoup de monde. Des spectacles sont annulés, des artistes sont déprogrammés dans les festivals, des projets culturels dans des établissements scolaires sont supprimés… Je ne sais pas si les gens vont considérer que c’est un scandale. Ils ne vont peut-être pas s’en apercevoir complètement, parce que je crois qu’il y a plein d’autres préoccupations sur le logement, sur la santé, sur l’énergie et plein d’autres problématiques. Mais l’offre culturelle va se réduire et la suppression de la culture va se faire sans bruit. La question qui se pose est : est-ce que la culture est essentielle ? Bien sûr, on peut être rationnel et considérer qu’on s’en fout, qu’on coupe tout. Mais comment garder une maîtrise de nos vies, de notre pensée et de nos choix ? La culture ça englobe par exemple le documentariste qui bosse avec des collégiens pour faire un film, ou quelqu’un qui leur apprend à faire du slow-motion en coupant des bouts de papier, le concert ou la pièce de théâtre que vous allez voir le week-end… Ce tissu culturel et associatif préserve la pensée, le travail collectif. Ce sont ces choses-là qui sont essentielles, de manière discrète, un petit peu partout et tout le temps. La culture offre des ouvertures et des échappatoires à d’autres problèmes et enjeux de société.