Ce mardi 16 janvier, des centaines de tracteurs et des milliers d’agriculteurs ont défilé dans les rues de Toulouse lors d’une grande manifestation régionale. Une énième fois, les agriculteurs interpellent le gouvernement pour dénoncer la baisse de leurs revenus et alerter sur la crise du monde agricole.
En plein centre-ville de Toulouse, c’est quelque 450 tracteurs sur trois convois et un millier de manifestants selon la préfecture, qui ont rejoint la place du Capitole pour y faire entendre leurs protestations ce mardi 16 janvier. « Aujourd’hui c’est toute la profession qui est en danger, si ça continue l’agriculture française va disparaître », regrette Jean-Baptiste Gibert, président des jeunes agriculteurs du Tarn-et-Garonne.
C’est dans une ambiance conviviale que les tracteurs ont déversé toute la matinée leur chargement de paille et de fumier devant l’Agence de l’eau Adour-Garonne (Empalot) et la Cité administrative (Compans-Caffarelli). Pas de slogans scandés, mais quelques coups de canons à gaz effaroucheurs en fond sonore. Une poignée de jeunes manifestants ont jeté des pommes sur la façade de la Cité administrative en guise de protestation, avant d’y laisser s’échapper un ragondin. « C’est pour rappeler aux instances politiques que nous avons déjà nos propres nuisibles et qu’on n’a pas besoin d’en rajouter », lance Gérard, agriculteur bovin dans le Tarn-et-Garonne.
Les manifestants ont garé leurs engins le long des allées Jean Jaurès et une partie d’entre eux se sont regroupés place du Capitole pour partager un repas avec les passants. Au menu, barbecue et sandwich au fromage, l’occasion de faire goûter aux Toulousains des produits fermiers de la région Occitanie et de communiquer sur la situation des agriculteurs en France. Pour Jean-Baptiste Gibert, « il y a une fracture entre le monde agricole et l’urbain, c’est à nous d’y remédier. » Ils assurent ne pas être venus dans l’intention de « tout saccager » mais bien de « montrer que les agriculteurs existent », déclare Jean-Pascal Pelagatti, vigneron à Béziers dans l’Hérault.
« Nous sommes désabusés »
Malgré cette bonne humeur générale, les discours se ressemblent et se suivent : le mal-être, la colère, l’avenir incertain, un sentiment d’impuissance, un manque de reconnaissance, les revenus insuffisants et la gestion de l’eau sont l’essentiel des revendications. « On en a marre, on nous demande toujours plus et on a toujours les poches vides. On veut nous tuer, il faut cesser de nous taxer », lance en colère Gérard, agriculteur bovin à la retraite dans le Tarn-et-Garonne.
Ils veulent alerter sur leur situation économique et notamment contre l’augmentation de la redevance sur l’eau. Pour Jean-Pierre Couteau, agriculteur céréalier dans le Tarn-et-Garonne, « on a tout le temps des augmentations sur des ressources vitales à nos exploitations et ça c’est plus possible. » Depuis la crise du Covid, les agriculteurs ont eux aussi subi les hausses du prix de l’essence et des matières premières. Quant à l’Europe, ils dénoncent la différence de normes entre les pays membres de l’UE. « En Espagne, on autorise des pesticides qui sont interdits en France car trop dangereux pour la santé. Et actuellement, on importe du blé, du vin, traité intensivement aux pesticides. On marche sur la tête, ce n’est pas jouable pour nous » explique Jean-Pascal Pelagatti. Une situation qui engendre de la colère mais également du désarroi. « Jusqu’où on va aller comme ça ? », s’interroge Jean-Baptiste Gibert.
De crise en crise
Aux augmentations, il faut ajouter les crises climatiques et la crise du pouvoir d’achat. Alors que le département de l’Hérault a connu cet été une grave sécheresse, l’eau devient un enjeu prioritaire pour les agriculteurs qui dépendent de ces ressources. «On demande un accès à l’eau pour les périodes de sécheresse avec la création de bassines pour assurer l’irrigation de nos exploitations », explique Jean-Pascal Pelagatti, vigneron à Béziers dans l’Hérault. Il poursuit, « si l’on ne fait pas ça, d’ici quelques années ça sera la fin de nos exploitations et notre vin disparaîtra.» La crise du Covid-19, la guerre en Ukraine et l’inflation ont durablement affecté le monde agricole. « Je ne connais pas un seul agriculteur qui n’est pas endetté », affirme Thomas, jeune céréalier dans le Tarn-et-Garonne. Pour l’agriculture biologique, même bilan, « je vois mes ventes baisser depuis des mois, le consommateur ne va pas vers les rayons bio car il pense que c’est trop cher », explique Jean-Baptiste Gibert. Il poursuit, « avec l’inflation les Français consomment moins de produits festifs, le vin ce n’est pas la priorité quand on a du mal à boucler les fins de mois. »
« On va devoir se réinventer »
Alors que de nombreux agriculteurs ne voient pas d’issues pour l’avenir, Jean-Pascal Pelagatti, vigneron dans l’Hérault, a décidé d’ouvrir un gîte sur ses terres agricoles et de diminuer son exploitation. « On va être obligé de s’adapter au changement climatique, je veux préserver mes terres et ne pas m’endetter, donc le tourisme me semble être un bon compromis », explique-t-il résigné.
Ce mardi 16 janvier, une délégation avait rendez-vous avec le préfet pour négocier des arrangements, une intervention qui ne laissait pas trop de place à l’espoir chez les agriculteurs. Pour Jean-Baptiste Gibert, « il faut y aller, mais on sait déjà qu’on n’obtiendra rien, comme d’habitude », lance-t-il fataliste.