Après presque dix ans de procédures, le groupe de théâtre Merci quittera définitivement le pavillon Mazar, situé au centre-ville de Toulouse, le 18 mars. Le dernier week-end est donc dédié à des « veillées funèbres«  afin de dire adieu à leur lieu de créations et de recherches artistiques.

Quand on ose passer le portail entrouvert du 13 rue Saint-Ursule, on arrive dans une arrière-cour de l’hyper centre toulousain. Un bâtiment du début du 19ème siècle – une ancienne usine de textile – se dresse devant nous. En ce début de samedi après-midi ensoleillé, trois hommes et une femme, tout de noir vêtus, nous accueillent. Même leurs masques sont noirs. Ils se tiennent de part et d’autre de l’entrée du bâtiment, le pavillon Mazar. L’un d’entre eux tient dans ses mains une boîte (noire) à mouchoirs. C’est donc ici que se déroule la « veillée funèbre » organisée par le groupe de théâtre Merci. Car ce week-end, le groupe doit dire adieu à sa maison. « La compagnie de théâtre Merci a acheté un droit au bail de ce lieu il y a 24 ans… La compagnie a mené tout un travail de laboratoire dans le champ des écritures contemporaines pour le théâtre et pour le cinéma, donc il y a eu 24 ans d’un grand vivier artistique ici« , explique Céline Maufra, coordinatrice du groupe Merci, mais « depuis 2011, on est dans une procédure d’éviction. »

« Une grande tristesse teintée de colère« 

Joël Fessel, directeur artistique du groupe Merci, s’exclamait début mars « Sous prétexte qu’on n’est pas une institution, on disparaît comme des lucioles. » C’est parce que la ville de Toulouse a finalement décidé de ne pas se porter acquéreur ni de louer ce bâtiment classé que le groupe de théâtre se voit obligé de quitter les lieux le 18 mars prochain. Le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc avait promis lors de sa campagne municipale de conserver la vocation théâtrale du pavillon Mazar. Céline Maufra relate, émue, qu’ils ont « bataillé pendant 24 ans » pour que le lieu d’expérimentation existe, « et on aurait aimé que les tutelles et notamment la ville et la métropole qui avaient la capacité à aller sur le créneau de l’achat saisissent le fruit mûr de ce qu’on avait généré. Ca n’a pas été le cas et donc il y a une grande tristesse teintée de colère d’avoir été capables d’abandonner ce projet. »

 

Recueillement à côté de la « tombe » pavillon Mazar/groupe Merci. Crédit photo : Angélina Fourcault

De la tristesse et de la colère qui se font ressentir lors de cette veillée funèbreLes gens sont silencieux dans la queue, mais on entend au loin des pleurs. Ils semblent venir de l’intérieur du bâtiment. Un enfant demande pourquoi il entend des gens tristes, ce à quoi son père répond  » C’est le théâtre qui pleure, parce qu’on lui prend son lieu de vie. »
Aurélien, lui, est venu par curiosité, mais aussi par engagement politique :  » Je trouve ça déplorable qu’une mairie d’une ville comme la ville de Toulouse ne soit pas capable de soutenir un lieu de création comme ça. « 

 

 » Ils finissent en beauté ! « 

Une fois à l’intérieur du pavillon Mazar, on distingue dans la pénombre un trou rempli de livres et de fleurs que les personnes déposent au fur et à mesure. C’est la sépulture du « chantier d’artistes » que va devenir ce lieu. Au balcon, on aperçoit les pleureuses. Ces cinq femmes – des actrices de la compagnie de théâtre Merci – portent les habits de deuil. Elles essuient leurs larmes avec des mouchoirs blancs qu’elles laissent ensuite s’échapper au sol du rez-de-chaussée.

Les fidèles du groupe Merci se remémorent à voix basse les nombreux souvenirs dans ce lieu. D’autres, comme Mathilde, viennent ici pour la première fois, pour dire au revoir à l’endroit où tout cet art est né : «  Je n’étais jamais venue, mais j’ai déjà vu le groupe Merci en spectacle plusieurs fois et j’ai entendu parler de l’évènement sur facebook et par le réseau. J’ai failli m’habiller tout en noir.  » Et c’est exactement ce qu’a fait Véronique, qui admire le spectacle, émue : «  C’est magnifique et c’est touchant. Ils finissent en beauté ! »

 

Les pleureuses et leurs mouchoirs, au pavillon Mazar. Crédit photo : Zoé Charef

Céline Maufra parle au nom du groupe :  » C’est une grande tristesse parce qu’il y a une préciosité de tout ce qui s’est passé ici qui n’est pas forcément hyper visible dans le sens où on n’est pas un lieu de diffusion, pas un lieu vitrine. On est un lieu où se fait le renouvellement des formes artistiques, où se cherchent les choses qui se voient ensuite sur les plateaux de théâtre. Et si on n’a pas d’espace pour chercher, pour expérimenter, pour tâtonner, il y a un appauvrissement de la création.  »
Le groupe Merci va être hébergé pendant trois mois par le théâtre Garonne pour essayer de penser à la suite plus calmement, car «  on l’a appris le 30 janvier pour le 18 mars, donc autant dire que plier 25 ans d’histoire en un mois et demi ce n’était pas une mince affaire.  »

Une fois les mouchoirs piétinés, un homme en costume noir nous tend un parapluie (noir). On est désorientés, car il faisait beau il y a cinq minutes, quand nous sommes entrés dans le pavillon Mazar. Et pourtant, oui, il pleut bien…sur un mètre seulement, car c’était la touche finale du spectacle. Pas mouillés par la pluie mais les yeux remplis de larmes, les fidèles et curieux peuvent ensuite laisser un dernier mot dans le livre d’or de ce lieu unique.

Un livre d’or…et du gel hydroalcoolique, pour témoigner son soutien au groupe de théâtre Merci en toute sécurité. Crédit photo : Zoé Charef

Spectacle du groupe de théâtre Merci. Crédit photo : Angélina Fourcault

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo à la Une : Les adieux au pavillon Mazar. Crédit photo : Zoé Charef