La semaine dernière, L’Odéon, à Paris, ouvrait le bal. Depuis, le Théâtre de la Colline, dans l’est parisien, le TNS à Strasbourg et le Théâtre Graslin à Nantes, ont suivi le mouvement. Hier matin, les intermittents du spectacle à Toulouse ont rejoint la contestation, votant l’occupation du Théâtre de la Cité. 

Derrière la baie vitrée du Théâtre de la Cité, à Toulouse, de nombreuses affiches arborant divers slogans sont placardées. Les intermittents du spectacle de la ville rose ont investi les lieux depuis le début de la matinée. Réclamant le retrait de la réforme chômage, nous pouvons y lire : « L’enfer des précaires fait le paradis des riches », ou encore « Pas de culture sans droits sociaux ». Sur le parvis, une table d’accueil a été dressée : on y trouve des autocollants floqués d’une inscription « Intermittent.e.s, chômeur.euse.s, précaires & intérimaire en lutte ». Un peu plus loin, des barnums : ils serviront d’espace de cuisine. Une banderole sur la façade dénonce : « Santé, retraite, chômage, logement:  la sécurité sociale nous protège, Macron la détruit. »

A l’entrée du Théâtre de la Cité, de nombreuses affiches recouvrent la façade. Crédit photo : Angélina Fourcault

Mercredi matin, le Théâtre de la Cité a accepté d’accueillir, nuits et jours, les revendications des intermittents du spectacle, pour une durée indéterminée.

Aux prémices du vivre ensemble

Les portes automatiques coulissent, le hall d’entrée se dévoile; canapés et chaises forment un carré dans l’espace central. Ceux qui n’ont pas pu y trouver place se tiennent debout, d’autres, assis au sol, écoutent attentivement. Deux colonnes délimitent l’espace : des feuilles d’inscription pour les quatre prochaines nuits sont dressées sur l’une d’elle.

Une assemblée générale se tient dans la pièce : « organisation » est le mot d’ordre du jour. Fraîchement élu « Théâtre occupé », par 200 personnes, certains points doivent être abordés. « On l’a dit dès le début, on n’est pas là pour bloquer les copains qui bossent, on est là pour rouvrir les théâtres », avertit une voix masculine au fond de la salle. Bien qu’elle soit inévitable, la réouverture n’est pas la revendication principale. A Paris, Strasbourg, Nantes et Toulouse, ces occupations témoignent de l’absence de considération des travailleurs et travailleuses. 

La discussion suit son cours dans l’assemblée générale
Crédit photo : Angélina Fourcault

Tour à tour, chacun prend la parole, exposant ses idées, ressentis, appréhensions ou questionnements. Tandis que certains s’interrogent sur le côté juridique, d’autres évoquent l’aspect primaire de la vie quotidienne. « Il y a un truc primaire : comment on dort, comment on mange, comment on vit ici ? Après ça on pourra commencer à s’organiser« , lance un jeune. Mettre en place un cadre est nécessaire , non seulement pour faire perdurer le mouvement, mais aussi pour vivre en communauté. Ainsi, des commissions se mettent en place.

La commission logistique a, pour le moment, permis le prêt de frigos, micro-ondes, casseroles, rallonges; elle assure aussi l’approvisionnement en eau. La commission repas doit se mobiliser pour organiser la suite; des idées germent. Alors que certains proposent de faire des soupes et des purées en grandes quantités « quitte à donner à manger à d’autres », d’autres soumettent l’idée de glanage. Plusieurs commissions verront progressivement le jour. C’est le cas, par exemple, de la commission revendication, qui servira à produire le discours politique, ou de la commission animation qui permettra des propositions artistiques.

Etablir le lien, forger un mouvement

15H04 : « Allo Paris, ici Toulouse », des tonnerres d’applaudissements résonnent dans la salle; Audrey passe en direct au Théâtre de l’Odéon, à Paris. Un mouvement national se met en place, des liens entre ces lieux d’occupation s’établissent. Dans l’assemblée, une voix se fait entendre « on a une information de l’Odéon : on essaye de faire un zoom avec tous les théâtres occupés pour coordonner les revendications. » Au niveau intersyndicale, hormis la réouverture des lieux, les revendications des cinq théâtres occupés aujourd’hui sont communes. L’abandon de la réforme chômage fait l’unanimité; c’est la raison principale qui les a conduit ici. « On est assez d’accord avec les revendications de l’Odéon. On ne peut pas non plus s’étendre : si on a mille revendications, ça tue les revendications », prévient un artiste. Demandant, entre autres, la reconduction d’une année blanche, c’est pour leurs droits sociaux que ces intermittents se mobilisent.

 Il ne faut pas brûler les étapes. Il faut construire la lutte et qu’on y adhère. Il ne faut pas qu’on fasse d’erreurs, pas de dérapages.

Comprendre la réforme chômage :

Intermittent du spectacle est un statut particulier. Afin de palier à la précarité du statut, il bénéficie d’une assurance chômage. Ainsi, il alterne des périodes d’emploi et de chômage. Un nouveau calcul d’allocation chômage doit entrer en vigueur en juin 2021. Qu’est-ce que cela implique ?

– 38% des allocataires toucheraient une allocation inférieure à plus de 20% de ce qu’ils touchent aujourd’hui. Les allocations seraient recalculée en comptant les jours non-travaillés, ce qui pénalise les salariés qui enchaînent périodes avec et sans emploi.

– Il est prévu qu’elle soit dégressive pour les hauts revenus.

– Il faudra travailler 6 mois au lieu de 4 pour ouvrir des droits aux indemnités.

Fin 2020, le conseil d’Etat a censuré une des dispositions de la réforme : le nouveau calcul du salaire journalier, jugeant qu’il portait « atteinte au principe d’égalité ».

 

« Il faut qu’on pense à ce putain de monde d’après », atteste un homme, revêtu d’un gilet jaune. Dans l’assemblée, concevoir la lutte s’exprime de différentes manières. Les forces de l’ordre ne s’étant pas encore interposées, la question de la sécurité semble prématurée. Ancrer la lutte, construire des bases solides et fortifier le mouvement, c’est ce qui leur permettra d’exister sur la durée. Une femme annonce d’ailleurs fièrement dans l’assemblée « On avance sur la maladie et le congé maternité. C’est très important, et on a gagné dans le lot. La lutte paye ! »

Une affiche du hall d’entrée sur laquelle des revendications ont été placardées.
Crédit photo: Angélina Fourcault

Faire perdurer la lutte passe aussi par la création d’une dynamique. « Moi, j’ai une inquiétude. Je vois 17 personnes sur la liste nuit aujourd’hui, deux demain. Si ça se trouve, demain il y aura huit personnes à l’AG, et après-demain deux », livre un homme à la barbe grisonnante. Donner envie aux gens de venir y passer une nuit est un défi que tous sont prêts à relever. La création d’un espace communication est en réflexion. Il permettra à ceux qui le souhaitent de « prendre le train en route« , en leur apportant les clés qui leur permettront de s’insérer dans le mouvement.

La salle se vide, certains se lèvent. Alors qu’un groupe part faire des courses, d’autres investissent l’espace extérieur. Des musiciens arrivent, des comédiens boivent un verre; les barnums prennent vie. Le débat d’un petit groupe continue à l’intérieur. Un homme, âgée d’une cinquantaine d’années, prend des précautions « Il ne faut pas brûler les étapes. Il faut construire la lutte et qu’on y adhère. Il ne faut pas qu’on fasse d’erreurs, pas de dérapages. Les médias peuvent nous retourner comme des crêpes. Ils disent qu’on demande la réouverture alors que ce n’est pas ce qu’on demande. »