Depuis le samedi 19 janvier 2019, acte X du mouvement des Gilets jaunes, une vidéo polémique circule sur les réseaux sociaux. Elle laisse voir quatre policiers intervenir sur deux motos banalisées. Alors que certains montrent du doigt un retour des voltigeurs, unité dissoute en 1986, enquête sur ces groupes motorisés régulièrement présents dans les manifestations toulousaines.

Le samedi 19 janvier 2019, la manifestation des Gilets jaunes bat toujours son plein dans la Ville rose. Le mouvement en est alors à son acte X. Ce jour-là, un appel à une manifestation nocturne est lancé. La manifestation est filmée par Gildas, un vidéaste régulier de la page Facebook Gilets jaunes France. Dans la soirée, le cortège est séparé par des CRS au niveau du cinéma Gaumont place Wilson avant de se diriger vers la place Saint Georges. Gildas témoigne :

«On continue à marcher vers l’entrée du parking. Et là, des mecs commencent à dire « oui, on court, on court ». Moi, comme je suis à rollers, je ne cours pas. Il y a une sorte de panique non assumée à ce moment-là ».

Sur la vidéo, on voit ensuite des manifestants monter sur la dalle Saint-Georges. Puis deux motos font leur entrée, chacune transportant deux motards en civil. Difficile de distinguer si ces motos appartiennent à la police, ou encore si les motards portent des brassards d’officiers. Par contre, le projectile lancé par un des quatre hommes ne fait pas de doute, si ce n’est sur sa nature.

Coups de matraque sans raison, téléphone brisé. Les voltigeurs de la police sont de retour en 2019 ? Des images qui rappellent les heures les plus sombres de notre histoire…

TOULOUSE – 19/01/2019Coups de matraque sans raison, téléphone brisé. Les voltigeurs de la police sont de retour en 2019 ? Des images qui rappellent les heures les plus sombres de notre histoire…

Publiée par Gilets Jaunes Infos sur Dimanche 20 janvier 2019

Ce soir-là, plusieurs blessés ont été recensés sur les lieux de la vidéo, dont Yann, qui a notamment été victime d’un coup dans la bouche et dont plusieurs dents ont été cassées :

« Sur la vidéo quand on voit les motards arriver, on voit des CRS sortir d’un petit renfoncement, c’est là que ça s’est passé pour moi. »

Il poursuit : « Je les ai vus arriver donc j’ai levé les bras et je me suis mis sur le côté en attendant qu’ils passent. Quand ils sont passés, ils ne m’ont même pas regardé. Arrivés à mon niveau, le troisième m’a mis un coup de matraque au niveau du coude, le quatrième m’a aspergé et m’a vidé sa bombe lacrymo dans le visage, et le dernier qui est passé m’a mis K.O. avec un coup de matraque dans la tête. J’ai pris le coup dans la bouche et je suis tombé ».

Une polémique qui envahit les réseaux sociaux

Très vite, la vidéo est reprise et partagée sur Facebook et Twitter, notamment par David Dufresne, documentariste relevant les manquements déontologiques des forces de l’ordre dans les manifestations Gilets jaunes.


Les internautes s’interrogent sur ces motards visibles lors des manifestations des Gilets jaunes à Toulouse mais aussi à Paris et lors des manifestations contre la Loi travail en 2016. Plusieurs d’entre eux soupçonnent le retour des voltigeurs.

Pas des voltigeurs mais la Compagnie de sécurisation et d’intervention

Les voltigeurs font référence à des policiers se déplaçant à moto pour se glisser rapidement dans les cortèges de manifestants, chargés de poursuivre les casseurs et de «nettoyer» la manifestation. Chaque moto transporte deux motards, l’un conduit et l’autre manie une matraque. Responsable de la mort de l’étudiant Malik Oussekine en 1986, cette faction créée en 1969 et spécialisée dans le maintien de l’ordre a été dissoute suite à cet événement.

Sébastien Pélissier, brigadier de police de 40 ans affecté au commissariat de police de Toulouse depuis 2006 et syndiqué à Alliance, détaille les effectifs mobilisés sur les manifestations des Gilets jaunes. Chaque samedi, la Brigade anti criminalité (BAC) est systématiquement réquisitionnée, les CRS également et les Brigades spécialisées de terrain peuvent venir en renfort.

«Les motards sur la vidéo ont une spécialité moto et ont une formation pour. Ils peuvent être sur des motos blanches de police ou travailler en civil au sein des Compagnies de sécurisation et d’intervention. Ceux avec les motos blanches ont choisi la police urbaine, ils ne font que de l’escorte, alors que la CSI est spécialisée dans l’anti-délinquance» explique le brigadier.

Il confirme que ces motards sont mobilisés sur chaque manifestation toulousaine en renfort depuis quelques mois. Même s’ils peuvent se transporter d’un endroit à un autre, ce ne sont pas des voltigeurs : «Le problème pendant les années 1980, c’est qu’ils mettaient des coups de matraque pendant qu’ils roulaient, pas là. Par contre, ils ont le droit d’utiliser les armes de défense.»

Créée en 2005 à Paris et à Marseille, la Compagnie de sécurisation et d’intervention est une nouvelle unité motorisée. Ses motards interviennent surtout dans le cadre de l’anti-criminalité en zone sensible. Ils ont à leur disposition différentes armes pour se défendre, dont le lanceur de balles de défense qui ferait partie de leur équipement de base selon la préfecture de police de Paris.

Un recours à des projectiles non réglementaire

Si la présence de ces policiers en civil sur des véhicules banalisés répond à un besoin de renfort, leur usage d’armes semi-létales, tout comme le projectile visible sur la vidéo, est plus questionnable. Jozef, interpellé place de l’Europe durant l’acte IV des Gilets jaunes par ces groupes d’intervention témoigne :

« Lors de la poursuite, deux motards avec leur lanceur de balles de défense m’ont suivi et me disaient de courir. Ils ont une cagoule, un casque et un brassard […] Je me suis mis à genoux. Je me suis pris trois flashballs et j’ai été gazé au sol. »

Un ancien fonctionnaire de police toulousain confie son inquiétude quant à l’usage des armes de défense par les forces de l’ordre ces dernières semaines :

« L’usage du LBD a été validé par le préfet et a toujours eu comme fonction d’être utilisé sur des manifestants récalcitrants. L’emploi du LBD, dans les cas filmés sur les réseaux sociaux, ce ne sont pas des personnes représentant un danger imminent. Certains policiers se justifient avec la légitime défense et l’usage de la force strictement nécessaire, mais il faut le prouver. Là, c’est du grand n’importe quoi. Moi, le premier j’ai été scandalisé. »

« Pour ma part, les pleins pouvoirs ont été donné à la Police. Il y a une protection au niveau de la hiérarchie, j’ai l’impression qu’elle est presque intouchable », poursuit-il. Le fonctionnaire de police rappelle que ces pratiques critiquables ne représentent pas celles de la totalité des agents de police avant de conclure : « Maintenant, il y a plein de Malik Oussekine. Ce sont des gens qui ont perdu la vue, qui se sont faits agressés violemment. Pour un policier normal, l’usage de l’arme est le dernier rempart. La Police n’est pas là pour commettre des actes délictuels ou criminels. »

>LIRE AUSSI : « À Toulouse, les gilets bleus et jaunes observent les pratiques policières en manifestation »

Avec Léane Burtier