Julia Cagé, auteure du Prix de la Démocratie rencontrait ses lecteurs à la librairie Ombres Blanches, ce mardi 19 février 2019. L’occasion pour elle d’exposer son constat “déprimant” sur le financement de la démocratie française où “les pauvres paient pour les riches”. Pour aller au delà, elle a consacré une partie de son ouvrage à des solutions pour améliorer le financement de la démocratie. Son idée innovante passe par un système de bons pour l’égalité démocratique. Récit.

«32€ c’est le prix de votre vote». Ainsi commence le livre choc de l’économiste Julia Cagé, normalienne professeure à Sciences Po Paris. Elle a décortiqué le coût de la démocratie: les partis et les dépenses de campagne, qui incluent le paiement des bulletins de vote, coûtent cher. « Si on ne veut pas payer [ce coût] comme contribuable avec de l’argent public, il faut s’interroger sur les motivations de ceux qui sont prêts à payer ».

Un ton alarmant qui révèle une volonté d’informer les citoyens pour qu’ils se saisissent du problème. « J’ai écrit ce livre pour que ma grand mère puisse le lire » précise l’auteure en souriant. Elle a par ailleurs mis en place un site internet pour que tout le monde ait accès à ses données. On y trouve le financement et le nombre de voix obtenues pour tous les candidats français aux élections législatives et municipales de 1993 à 2014.

Au-delà des frontières françaises, la chercheuse a réuni les données de 8 pays, dont les Etats-Unis. Elles lui ont permis de comparer des systèmes où le financement public a une part changeante voire inexistante. Les dépenses politiques totales varient aussi selon les pays. Outre-atlantique, la campagne présidentielle américaine, qui n’est pas plafonnée, a donné lieu à des dépenses d’un montant de 4,5 milliards de dollars en 2016.

Couvertures du livre de Julia Cagé, Le Prix de la Démocratie (photo: Juliette Barot)

La solution ? Des bons pour l’égalité démocratique

Julia Cagé propose de mettre en place des « bons pour l’égalité démocratique » pour réformer le système actuel de financement public de la démocratie. Chaque citoyen choisit chaque année le mouvement politique de son choix auquel il souhaite allouer sept euros d’argent public. Pour l’économiste, cette solution remplacerait le système actuel de financement fiscal de manière plus égalitaire et plus dynamique. Aujourd’hui le financement public des partis est, en effet, conditionné aux résultats des législatives donc figé tous les cinq ans. Une forme de « référendum révocatoire en douceur » puisqu’il permet au citoyen d’envoyer un signal fort en retirant les financements publics à un parti dont il ne serait plus satisfait.

Pour appuyer l’égalité des citoyens dans le financement de la vie politique française, Julia Cagé préconise également de réduire le plafond des dons aux partis politiques à 200€. Aujourd’hui élevé de 7 500€, il correspond à la moitié du salaire annuel total d’une personne touchant le salaire minimum.

« Les pauvres paient pour les riches »: une niche fiscale « indéfendable «»

« Les dons privés aux partis politiques sont un phénomène de classe » affirme Julia Cagé. Alors que moins de 1% des français font un don à un parti politique, cette part monte à 10% chez les 0.01% des citoyens aux revenus les plus aisés. Qui plus est, le montant du don varie considérablement selon les revenus, ce qui accentue l’inégalité de financement de la démocratie. Il est de 5 245 € chez les 0.01% des revenus les plus aisés contre 120€ parmi la moitié des ménages aux revenus les plus modestes.

Or, un système de réduction fiscale permet aux ménages imposables sur le revenu de se faire rembourser par le contribuable 66% du montant de leurs dons aux partis politiques. Finalement, c’est le contribuable qui finance 4 000€ d’un don total de 6 000€ effectué par une personne imposable sur le revenu. Cela revient à une subvention par l’Etat des préférences politiques des très riches.

« Qui peut le plus, paie le moins : ainsi fonctionne le système fiscal de financement public indirect de la démocratie en France, un système régressif et injuste où ce sont les pauvres qui paient pour les riches» (introduction, Le Prix de la Démocratie)

« Cette niche fiscale est indéfendable » pour Julia Cagé. D’ailleurs, l’auteure qui a discuté de ses propositions avec de nombreux politiciens n’a trouvé personne pour la défendre. Elle déplore toutefois qu’aucun parti n’ait encore inscrit sur son programme ses préconisations. Cela s’explique peut être par le fait que les élus politiques sont ceux qui bénéficient en masse de cette réduction fiscale puisqu’ils « donnent » pour la plupart une partie de leurs revenus.

La salle de rencontre d’Ombres Blanches était pleine pour accueillir Julia Cagé (Photo: Juliette Barot)

“Qui paie gagne”: un financement privé qui profite à la droite

Dans tous les pays, systématiquement, ce sont les partis les plus conservateurs du point de vue économique qui reçoivent le plus de dons privés. Si ce constat sonne comme une évidence, l’économiste s’est attachée à le documenter empiriquement. Le système de financement favorise les partis « de droite ».

En France, le parti qui a touché le plus de dons en 2017 est La République En Marche. L’année de sa création, en 2016, le mouvement avait récolté 9 millions d’euros de dons en six mois, alors que le Parti Socialiste a reçu 670 000 euros de dons la même année.  

Or, il y a une corrélation presque parfaite entre les dépenses des candidats et le nombre de voix qu’ils obtiennent. Julia Cagé va jusqu’à montrer le lien de causalité entre les deux en comparant les élections législatives de 1993 et celles de 1997. En 1995, une réforme interdit aux entreprises de donner aux partis et aux campagnes. Ce choc négatif pour les candidats de droite s’est traduit dans les urnes par « l’étrange défaite de la droite » explique  Julia Cagé.

Le retour sur investissement du financement privé des partis de droite est élevé. En effet, les 150 plus gros contribuables ont gagné 1,5 millions d’euros par an depuis les mesures mises en place par Emmanuel Macron (fin de l’impôt sur la fortune, mise en place de la flat taxe). Pour un investissement maximum de 7 500 € par an, coûtant réellement 2000 €, la dépense semble rentable.