C’est un scénario de film français. Un groupe d’amis s’est retrouvé devant le tribunal correctionnel de Toulouse mardi 5 décembre. Après avoir volé deux voitures, ils s’étaient livrés à de petits « casses » comme les appellent le chef de la bande. Récit d’audience.
« C’est un dossier à tiroir » prévient tout de suite le juge. Devant lui trois jeunes d’une vingtaine d’années, le quatrième est dans le box. La lecture des charges prend du temps. Il s’agit de différents vols avec effractions ou circonstances aggravantes, tous commis en septembre 2017 par la bande, sans que tous les membres soient présents à chaque fois. Les délits ont eu lieu dans différentes communes, de Verdun sur Garonne à Vacquiers en passant par Campsas.
Celui qui apparaîtra comme le leader pendant l’audience, Ilan D-V, est bien connu de la justice, surtout du juge des enfants, avec 8 mentions à son casier judiciaire. Onzième fils d’une fratrie de quatorze enfants, il explique qu’il allait régulièrement commettre des vols avec son père, actuellement incarcéré, lorsqu’il était jeune. Pour les autres, en dehors du box, c’est la première fois devant un tribunal.
Deux voitures de location dérobées
Les faits se dessinent plus clairement à chaque prise de parole des prévenus. La première à s’exprimer est Chloé B. qui sera présentée par son avocat, maître Thierry Carrere, comme une « jeune femme avec un parcours, notamment scolaire, excellent, qui a commis une incroyable erreur de parcours ».
Les faits qui lui ont reprochés, et qu’elle a reconnus, tournent autour du vol de deux voitures de location. Elle travaillait à Citroën et venait d’apprendre que son CDD ne serait pas renouvelé, au début de l’automne 2017. Sur la demande d’Ilan D-V., dit-elle, elle aurait emprunté un premier véhicule, puis un second, avant de se rendre compte que personne n’avait l’intention de les rendre.
En utilisant du matériel présent dans le garage où travaille son père, elle a ensuite participé à forger de fausses plaques d’immatriculation pour pouvoir utiliser les véhicules. Pendant quinze jours, elle ne rentrera pas chez elle. Ses parents s’inquiètent de ne plus la voir, et en parlant à la police, ils se rendent compte que les véhicules Citroën aperçus chez eux n’avaient pas été prêtés par l’entreprise, et qu’ils correspondent à la plainte déposée par l’agence de location.
Le père retrouvera sa fille dans un hôtel Class’Eco d’Albi. Et avec elle, une partie de la bande, et le véhicule. La perquisition permettra de faire avancer l’enquête de plusieurs autres dossiers.
Dix jours de larcins
Entre le 13 et le 24 septembre 2017, ce sont trois cambriolages qui s’enchaînent. À Verdun sur Garonne d’abord, le groupe s’introduit dans un local municipal pour mettre la main sur du matériel de bricolage. En particulier une meuleuse, utile pour couper des chaînes. Et ce matériel servira dans deux occasions.
Le groupe découpe le cadenas attaché à la grille d’un tabac, avant de s’y introduire pour voler des paquets de cigarettes. Quelques jours plus tard, c’est une supérette qui est dévalisée, des bouteilles d’alcools et des friandises sont récupérées.
Butin de ces dix jours, retrouvé dans le coffre de la Citroën : 62 paquets de cigarettes, 23 bouteilles d’alcool, quelques sachets de bonbons. La procureure a requis des peines allant de 6 mois à 2 ans d’emprisonnement.
Une défense divisée
Alexandre B. n’était présent qu’à Vacquiers, pour la supérette, son avocat plaide l’erreur de jeunesse et l’effet de groupe. Pour les autres, la situation est plus compliquée. Chloé B. et Nicolas S. sont en couple, et Nicolas S. est le cousin de Ilan D-V. Pour l’avocate de Nicolas, maître Émilie Lebovitch :
« Il n’y a qu’une tête pensante, pas deux. Monsieur D-V n’a jamais supporté de voir son cousin en couple avec Chloé B. et il y a une histoire de vengeance là-dessous. D’ailleurs monsieur D-V se présente en jeune père de famille mais il les a abandonnés. »
Dans le box, le prévenu élève la voix « Pourquoi vous m’insultez ? » le président se tourne vers lui « asseyez-vous ou je devrai vous faire sortir de la salle ». La tension est montée d’un cran. Pendant le reste de l’audience, le prévenu dans le box ne regardera jamais les autres.
Et les stratégies des défenses des autres prévenus mettent au jour les divisions qui ont fait éclater le groupe. Elles reposent sur le fait de présenter Ilan D-V comme le meneur, qui aurait entraîné les autres, parfois contre leur volonté. Chloé B. évoque « des menaces contre ma famille, il a dit qu’il casserait la gueule à ma mère et mon père ». Son avocat souligne qu’elle a participé activement à l’enquête et « exprimé des regrets que j’ai trouvé sincères, ce qui n’arrive pas toujours ».
« J’ai pété les plombs »
La réponse du mis en cause, Ilan D-V n’attend pas. « Moi j’ai décidé d’être sincère avec vous, j’ai une petite fille de 14 mois et quand la mère de ma fille m’a quitté, j’ai arrêté de prendre mon traitement, j’ai pété les plombs ». Le prévenu est suivi pour un trouble limite de la personnalité. « Mais regardez mon dossier, chaque fois que j’ai été attrapé, j’ai toujours reconnu les faits. Mais les voitures, les menaces ce n’est pas moi, c’est Chloé » Maître Pierre Debuisson prend le relai :
« On voudrait faire croire qu’il y a des complices victimes des circonstances et un cerveau du mal. Mais est-ce qu’il faut vraiment un cerveau pour enjamber une balustrade pour voler un local municipal ? Faut-il vraiment un plan minutieux ? Je sais que ce tribunal ne sera pas dupe. »
Maître Debuisson nous explique pendant la délibération des juges qu’il n’était pas du tout surpris de cette division dans la défense : « c’est monnaie courante de se tirer dans les pattes dans ce genre d’affaire, je pense que le tribunal a très bien compris le dossier ».
Le verdict tombe, les quatre comparses sont reconnus coupables de tous les faits qui leurs sont reprochés, sans surprise puisqu’ils ne les niaient pas. Seul Nicolas S. est relaxé d’un seul fait, sa présence à Campsas est écartée. Alexandre B. voit sa peine établie à 6 mois d’emprisonnement avec sursis intégral, pour Nicolas S. c’est 8 mois, dont 4 fermes. Pour Chloé B. 1 an d’emprisonnement dont la moitié avec sursis.
Enfin pour Ilan D-V 18 mois d’emprisonnement dont 6 mois de sursis assorti d’une mise à l’épreuve de 2 ans, avec obligation de travailler, et maintien en détention. Avant de suivre les policiers pour son retour en détention, le prévenu passe le bras hors du box et vient serrer l’épaule de son avocat. Pour le remercier, et presque comme pour le consoler.