Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Celui de l’âge d’or de la contestation étudiante. Dans les années 1970 et 1980, l’étudiant était engagé politiquement et faisait entendre sa voix dans la rue. La politique faisait partie prenante de la vie estudiantine. Des AG se tenaient régulièrement, pendant lesquelles les places sur les bancs des amphis coûtaient cher. Aujourd’hui, qui se soucie des réunions publiques tenues par les syndicats ? Hier, les étudiants toulousains créaient le SCALP (Section Carrément Anti Le Pen). Aujourd’hui ils s’amusent à voter Jean Luc Mélenchon à des élections fictives créées dans les différents campus.

Il y a peu, Rémi Fraisse, étudiant toulousain, était tué par les forces de l’ordre pour ses idées. La réaction ? Un blocage de l’université du Mirail qui tarde à se mettre en place faute d’ampleur du mouvement. Dans les autres campus ? On en parle. Oui, certes. Eh bien quoi ? C’est fait, c’est fait. Mais quelle aurait été la réaction du milieu étudiant il y a trente ans de cela ? Seuls quelques lycées parisiens ont bougé et encore timidement. Jeunesse révoltée, où es-tu ?

Comment expliquer ce changement d’attitude, de mentalité ? Qu’est devenue la fougue de la jeunesse ? Serions-nous devenus une masse silencieuse et obéissante comme le chantaient si bien les Pink Floyd dans « Another brick in the wall » ? Le temps des grandes manifestations étudiantes et lycéennes est révolu. Le combat se situe-t-il ailleurs ? Ou de guerre lasse, les jeunes se sont-ils résignés à abandonner leur rêve ancestral de construire un monde à leur image ?

Autre explication : la situation économique particulièrement difficile oblige les étudiants à se préoccuper de leur avenir individuel plutôt que collectif. Les idées, on verra, ce qui importe, c’est le diplôme et le CDD derrière. Même si je dois évoluer dans une société injuste, intolérante et individualiste, je veux en faire partie. A tout prix.

L’omniprésence d’Internet dans les rapports humains est également un facteur d’apaisement des revendications étudiantes. Tout se fait sur la toile. On se documente sur Internet, on débat sur Internet. On exprime ses coups de gueule face à l’écran. Les manifestations d’antan se retrouvent peut-être aujourd’hui dans les statuts Facebook et Twitter, les pétitions électroniques et les commentaires en bas de page. Mais permettez-moi de douter de leur portée ! Jeunesse rebelle, où es-tu ?

Toujours est-il qu’aujourd’hui, l’esprit soixante-huitard est enterré. La jeunesse ne descend dans la rue que lors de trop rares occasions. Cette foule, fourmillante d’idées, à l’esprit novateur, tournée vers l’avenir, souvent incomprise de leurs aînés, n’a aujourd’hui plus foi en la révolte. Le Front National est le troisième parti de France, mais ils ne sont que quelques centaines dans les grandes villes du pays, à manifester contre lui. Jeunesse révoltée, où es-tu ?

A l’heure où j’écris, les facs toulousaines tiennent des AG contre le désengagement de l’Etat dans l’enseignement supérieur. A Sciences Po, elles ont réuni 50 étudiants sur le millier fréquentant l’établissement. 5% mobilisés. Au Mirail, 800 étaient présents à l’AG tenue jeudi dernier sur les 24 000 étudiants de la faculté. 3% mobilisés. Une manifestation étudiante est prévue demain jeudi 20 novembre. Combien seront-ils parmi les presque 100 000 jeunes fréquentant des établissements de l’enseignement supérieur ?

« L’utopie est la matrice de l’histoire et la sœur jumelle de la révolte », pour reprendre les propos de José Bové. Sans utopie, pas de révolte. Voilà peut être la vraie réponse à ma question… Jeunesse résignée, nous voilà.