Hermann, une des grandes figures de la bande dessinée franco-belge actuelle, a fait étape samedi 9 février à la librairie Bédéciné de Toulouse pour dédicacer son dernier tome des aventures de Jeremiah, Le Caïd. Rencontre avec cet artisan du dessin, comme il aime à se définir, aussi inspiré par l’Homme que critique à son égard.

Hermann était en dédicace à Toulouse. / Photo www.hermannhuppen.be­

Univers-cités : Depuis 1979, vous peignez les aventures de Jeremiah, qui évolue dans un univers post-apocalyptique où loi du Talion et soif de pouvoir règnent en maîtres. Racontez-nous la genèse de cette série.

Hermann : C’est en lisant Ravage, un des romans de René Barjavel, que j’ai eu l’idée de dessiner pour la première fois Jeremiah. J’ai été séduit par ce récit, au cours duquel l’auteur décrit le naufrage d’une société dont l’harmonie repose intégralement sur le fonctionnement des technologies et l’essor de la science. Avec Jeremiah, j’ai eu envie de mettre en couleurs, moi aussi, le destin d’un personnage propulsé dans un monde où tous les repères ont volé en éclats et où se récréent, tant bien que mal, des ersatz de sociétés. Cela dit, nos deux histoires se différencient radicalement, notamment sur le fait que Barjavel porte un regard très critique sur la technique et le confort modernes. Une société écologique, sans électricité ni eau courante, très peu pour moi !

Avec Le Caïd, vous en êtes au trente-deuxième volume de cette série : où trouvez-vous l’inspiration à chaque nouvel épisode ?

Comme pour chacune des bandes dessinées que je crée, c’est du quotidien que je puise mes idées, et non des grands événements actuels ou passés, qui ne m’inspirent guère. Un mot, une image ou une anecdote sont au contraire des éléments susceptibles de me conduire à démarrer un nouveau récit. Le Caïd est par exemple né de mes recherches sur le décor : j’avais envie de faire un parc d’attraction hideux, et non pas un lieu de divertissement. J’y ai ensuite intégré des éléments du quartier Christiania à Copenhague, dont le fonctionnement m’intéresse particulièrement. Cette communauté autogérée est en quelque sorte un refuge, en bordure de la ville et à l’abri de la police, où s’est recréée une société à part entière, dotée de ses propres règles, un peu comme l’est celle que je dépeins dans Le Caïd. Pour le reste, je n’ai jamais de scénario préétabli et j’improvise au fur et à mesure.

Le Caïd, dernier tome de la saga Jeremiah. / Photo www.hermannhuppen.be

Comment expliquez-vous le rôle important de vos personnages secondaires ?

Selon moi, une BD doit être semblable à un arbre : il y a le tronc, qui constitue le socle de l’aventure, mais il faut également des branches, qui émaillent le récit et font en réalité tout le sel de l’histoire. C’est la raison pour laquelle j’étoffe mes scénarios en développant des passages tirés du quotidien de mes personnages. Dans Le Caïd, la vie du crapaud ou de la mère alcoolique et de son fils dotent l’épisode d’une tonalité différente. La relation mère-fils est d’ailleurs symbolique, à mes yeux, de cette Amérique profonde dans laquelle se déroulent les aventures de Jeremiah : un bon coup de casserole, et on calme toutes les prises de tête ! Mais c’est justement par cette touche d’humour que Le Caïd est susceptible de rester dans la mémoire de mes lecteurs.

Mis à part ces touches d’humour, votre univers reste assez sombre et violent. Pourquoi ?

Je n’ai pas envie de faire des BD édulcorées ou pseudo-intellectuelles et moralisantes. Ce que j’aime, c’est montrer l’Homme tel qu’il est, sans détours, de manière viscérale. L’être humain est mon unique sujet de création, j’aime le montrer dans sa banalité. Or, la vie est dure, et si je veux être fidèle à mon propos, il faut que je représente la violence. Pour autant, je m’efforce surtout de la suggérer. Le lecteur est parfaitement capable de tirer lui-même des conclusions à la fin des scènes de bagarre ! Sans doute est-ce aussi une manière pour moi d’évacuer ma propre violence, en dessinant un personnage d’une grande intégrité qui n’hésite pas à tuer quand cela est nécessaire, je me libère moi-même. Et puis, peut-être est-ce une façon d’essayer de faire changer l’Homme, même si je ne me fais guère d’illusions à son sujet.

Quels sont vos prochains projets ?

Je viens de terminer un one-shot qui sortira l’année prochaine. L’histoire se situe dans l’extrême nord de la Russie, où ont été faites des expériences thermonucléaires du temps de l’URSS.