Sept ans et demi après l’explosion de l’usine AZF, qui avait fait 31 morts et des milliers de blessés, le procès s’ouvre enfin.
A situation exceptionnelle, dispositif exceptionnel. Le procès devant le tribunal correctionnel de Toulouse a débuté le 23 février dernier et est à la mesure de la catastrophe industrielle qui a frappé Toulouse le 21 septembre 2001 : hors norme (voir encadré). La salle Jean-Mermoz, réquisitionnée pour l’occasion, accueillera quelques 1800 parties civiles, une pléthore d’avocats, et ce seront au moins 1100 témoins qui se présenteront à la barre durant les quatre mois d’audience.
Cependant, la démesure de ce procès sans précédent dans l’histoire judiciaire française, ne doit pas occulter les enjeux d’un procès qui s’annonce complexe et soumis à une forte pression tant médiatique que de l’opinion publique.
« Le tribunal doit présenter objectivement et sans a priori, dans le respect de la présomption d’innocence dont bénéficient les prévenus, les éléments dégagés par l’information judiciaire et garantir à l’ensemble des parties à ce procès, parties civiles, ministère public et défense, un débat contradictoire et loyal », a tenu à rappeler Thomas Le Monnyer, président du tribunal, en préambule à l’ouverture du procès.
Déterminer les causes de l’explosion
L’enjeu majeur du procès est de déterminer l’origine et la cause de l’explosion du hangar 221 de l’usine AZF ce 21 septembre 2001 à 10h17. L’élément déclencheur de la déflagration a fait, et fait toujours, l’objet de nombreuses spéculations et théories contradictoires. Sur fond des attentats du 11septembre, des hypothèses allant d’un arc électrique en provenance de la SNPE voisine, à un attentat terroriste, en passant même par l’impact d’une météorite ont été évoquées et sont venues s’opposer à la thèse officielle, celle du mélange accidentel de résidus chlorés avec un amas de nitrates d’ammonium. Cette thèse a été confirmée au cours de l’instruction par les conclusions d’un collège d’experts mandatés par la justice, le 11 mai 2006.
Néanmoins, un climat de suspicion entoure ce procès. La confirmation hâtive de la thèse de l’accident par le procureur de la République seulement 3 jours après la catastrophe, mais également l’enquête interne menée par Total préalablement à l’enquête policière, sont autant d’éléments troublants qui ont alimenté les théories du complot de tous bords.
Des parties civiles divisées quant aux responsabilités
Si la thèse de l’accident, consécutif à des négligences en termes de sécurité, sera selon toute vraisemblance confirmée, les responsabilités semblent plus difficiles à déterminer.
Face aux nombreuses victimes, le banc des prévenus semblait bien peu fourni au début du procès, avec seulement la société Grande Paroisse, filiale de Total et Serge Biechlin, son ancien directeur. Les associations de victimes craignant le procès d’un bouc émissaire et que Total n’échappe à sa responsabilité pénale, déposaient immédiatement une citation demandant la comparution de Total et de Thierry Desmarest, son PDG au moment des faits. Ceux-ci avaient en effet bénéficié d’un précédent non-lieu. Le 26 février, le tribunal décidait de faire comparaître comme prévenus Total et Thierry Desmarest et la citation des associations de victimes était jointe au fond du dossier. Les représentants des associations de victimes s’en sont réjouis, malgré les risques d’irrecevabilité à la fin du procès.
S’opposant aux associations de victime, une partie des anciens salariés de l’usine chimique AZF, qui se sont également constitués parties civiles, déplorent l’abandon lors de l’enquête, de l’instruction et maintenant du procès, de certaines pistes alternatives à la thèse de l’accident. Ils n’acceptent pas d’être implicitement tenus pour responsables de l’explosion à travers leur ancien directeur, et estiment avoir été les plus touchés dans cette catastrophe, avec 21 morts sur le site, puis la fermeture définitive de l’usine.
Alors que les traumatismes sont encore bien présents, et s’expriment dans les témoignages des victimes, le tribunal a la lourde charge de faire émerger la vérité de manière incontestable, et de permettre ainsi aux Toulousains de clore ce douloureux épisode, sans pour autant l’oublier.