Au cœur de l’actualité cette année, le sport est mis à l’honneur avec les Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) 2024. Mais est-il à la hauteur des enjeux de violences sexistes et sexuelles ? Quatre ans après #Metoo, à quatre mois des JOP, des journalistes continuent d’enquêter et de révéler des affaires de violences envers des athlètes. Rencontre avec Emmanuelle Anizon, Marc Leplongeon et Thierry Vilardy, les trois journalistes qui enquêtent sur les violences dans le monde du sport.

« Vous étiez mon entraîneur. Je venais d’avoir quinze ans. Et vous m’avez violée. Il aura fallu trente ans pour que ma colère cachée se transforme enfin en cri public. ». C’est le témoignage bouleversant de Sarah Abitbol, patineuse professionnelle, qui révèle le viol qu’elle a subi dans le livre Un si long silence, co-écrit avec Emmanuelle Anizon. L’athlète, dix fois championne de France de patinage artistique en couple et médaillée de bronze aux championnats du monde, a bouleversé le monde du sport jusqu’à engendrer un nouveau MeToo sport.

« Il faut rendre hommage à Sarah [Abitbol] et Emmanuelle [Anizon] car il y a eu un avant et un après dans le sport français. », affirme Thierry Vilardy, journaliste sportif à France Télévisions. La journaliste qui a révélé les agissements de cet entraîneur l’affirme, il n’y avait pas que Sarah Abitbol, il y en avait des dizaines d’autres dans le patinage. Comme souvent dans les affaires de violences sexuelles, un seul témoignage ne suffit pas. Il fallait enquêter et montrer qu’il y avait « une organisation de ce silence, une omerta », explique Emmanuelle Anizon, qu’il n’y avait pas qu’un agresseur non plus. Montrer qu’elles étaient plusieurs, voilà ce qui a déclenché le raz de marée de témoignages. « Aujourd’hui, il y a 900 signalements [de violences sexuelles] dans plus de cinq fédérations, on est face à un mouvement qui a bouleversé le sport et dont [Sarah Abitbol] a été le déclic », souligne Emmanuelle Anizon.

Ce mouvement a même touché les journalistes sportives avec le documentaire de Marie Portolano « Je ne suis pas une salope » qui dénonce les comportements sexistes et les violences envers les femmes journalistes dans le monde du sport. Une parole qui, elle aussi, peine à être entendue, comme en témoigne cet échange sur le plateau de l’émission Quelle époque entre Marie Portolano et Michel Drucker.

« Avant il n’y avait pas de relai politique pour les affaires de violences sexuelles, ce n’était pas entendu dans la société. Aujourd’hui, on sort ces affaires et la société écoute. »

Emmanuelle Anizon, journaliste à l’OBS

« Le sport est un monde à part, il arrange lui-même les règles de la loi »

Le témoignage de Sarah Abitbol a apporté la démonstration de l’omerta dans le sport et la difficulté d’être reconnue comme victime. C’est un monde qui « se régule lui-même car il est indépendant des Etats », explique le journaliste Thierry Vilardy, or, poursuit-il « en général il s’arrange entre lui, il est incapable de se diriger et de se réguler lui-même ». Les règlements et les commissions de discipline sont pensés et régis par les fédérations de sport.

Il y a, selon le journaliste, une « confusion entre les règles du sport et la loi ». Le respect des règlements des fédérations ne suffit pas, parfois la loi est franchie même si le règlement dit, lui, qu’il n’y a pas d’atteintes aux règles. « Dans une même affaire, on a plusieurs enquêtes : disciplinaires, judiciaires et administratives. Parfois elles ne disent pas la même chose. », souligne Marc Leplongeon, journaliste à l’Equipe. Pourquoi ? Parce que les règles entre la loi et celles des fédérations ne s’accordent pas toujours. Il poursuit : « Aujourd’hui il y a deux écoles. Celle de la ministre des Sports qui considère qu’il faut laisser le pouvoir disciplinaire aux fédérations. Et l’autre, qui veut créer des commissions indépendantes ». Une perspective souhaitable pour une meilleure transparence, mais qui ne fait pas l’unanimité.

« Des affaires au chaud qui attendent de sortir on en a tous »

Même si la parole s’est libérée dans le monde du sport, il existe encore des mécanismes qui empêchent les victimes de parler, comme le souligne Thierry Vilardy : « Après un moment où tout le monde tremble, les systèmes mettent en place des stratégies d’étouffement, d’endiguement. ». L’objectif pour les journalistes qui enquêtent sur les violences sexuelles est donc double, faire parler les victimes tout en les protégeant. Sarah Abitbol a par exemple été « blacklistée pendant des années, elle était interdite de fédération », rapporte Emmanuelle Anizon.

« Il faut protéger les sources. Elles font face à des agresseurs, des gens puissants. Il faut sortir les affaires au bon moment pour ne pas mettre en danger les personnes concernées.  », renchérit Marc Leplongeon. Le monde du cheval connaît actuellement « d’énormes scandales qui ne sont pas encore sortis », selon Thierry Vilardy. La raison ? « C’est la parole de deux jeunes femmes face à un jockey qui a beaucoup d’argent, du réseau et des relais de pouvoir », souffle le journaliste.

Les Jeux Olympiques et Paralympiques de cet été mettent à l’honneur le sport, alors qu’il peine à proposer de réelles solutions contre les violences sexuelles. Fermer les yeux sur ces violences pendant les JOP alors qu’il existe des moyens de protéger les athlètes est inenvisageable pour ces trois journalistes. Reste à savoir si de nouveaux scandales seront révélés cet été.

Crédit photo : Patrick Ragnarsson