On les voit, mais on ne les regarde pas : dans la rue, les couples sans-abri sont rares, mais se lient parfois. Par amour ou par souci de se protéger, ils choisissent d’affronter la difficulté de la rue à deux. 

Il est presque 11 heures lorsque Bruno et Nathalie poussent la porte du Secours Catholique, ce matin d’avril, dans le centre-ville de Toulouse. Accompagnés de leur chien, Joss, le couple vient prendre son petit déjeuner, peut-être le seul repas qu’ils auront de la journée. Depuis cinq ans, Bruno et Nathalie vivent sans domicile fixe ensemble. « On s’est séparés, remis à deux, séparés encore et on s’est retrouvé de nouveau », explique Nathalie, un sourire timide aux lèvres. 

Attablé devant son repas, le couple profite du moment. « C’est un moment privilégié dans leur journée », explique Jean-Luc, bénévole au Secours Catholique depuis cinq ans. « Ils peuvent se poser, discuter avec d’autres personnes qui vivent la même situation ». Dans la salle, une trentaine de personnes, dont la grande majorité sont des hommes de plus de 50 ans, seuls. Bruno et Nathalie font figure d’exception. 

« Beaucoup se mettent à deux pour la sécurité »

« C’est rare de voir des couples », souffle Andrew, responsable du centre depuis 14 ans. « Et lorsqu’on en voit, on ne sait pas s’ils sont réellement ensemble. Beaucoup se mettent à deux juste pour la sécurité ». Bruno arbore un coquard à l’œil gauche. Un ami sans abri, lui aussi, s’est fait agresser quelques jours plus tôt et le quarantenaire l’a défendu. Nathalie le regarde d’un air tendre : « On n’est pas en sécurité. Être à deux aide un peu, mais ça reste dangereux ». 

Bruno et Nathalie se sont rencontrés dans le Tarn avant de venir à Toulouse. « Il y a plus d’aides ici », précise Bruno. « Et puis, pour les hébergements d’urgence, ils sont plus aptes à accepter lorsqu’on est en couple que seul. » Ils ont d’abord dormi à la gare, avant de trouver un squat dans le centre-ville. Mais les propriétaires ont repris leur bien et le couple est de nouveau à la rue. Malgré les difficultés, ils sont toujours ensemble. « On se soutient comme on peut. Parfois, l’un de nous est plus démoralisé que l’autre, alors on essaie de se remonter mutuellement le moral », explique Bruno en souriant à Nathalie. 

Besoin de compagnie 

Andrew est pragmatique : « Les couples à la rue durent parce qu’ils se serrent les coudes. C’est comme le sans-abri avec un chien. Pardon d’être brutal, je ne veux pas mettre les deux sur la même balance, mais c’est exactement la même chose. Ils ont besoin de compagnie. » Le responsable précise : « Pour les femmes isolées, l’espérance de vie sans être agressée ou violée est de trois nuits maximum. Donc, la plupart du temps, les femmes s’accrochent avec la gent masculine. Ce n’est pas pour autant qu’il s’agît d’un couple au sens où nous l’entendons, nous ».  

Tout en triant les papiers administratifs sur son bureau, Andrew continue : « Ma relation de confiance avec les bénéficiaires dans la rue est énorme. Mais il y a des points d’intimité que l’on n’aborde jamais, parce que, de toute façon, ils ne répondront pas. » Comme pour le confirmer, Bruno et Nathalie font preuve d’une grande pudeur. Sourires gênés, regards en coin, les deux complices semblent communiquer entre eux sans parler. Que ce soit par circonstance ou non, ils restent à deux. 

Crédit Photo : Anaïs Chesnel.