Depuis dix jours, plusieurs hélicoptères de la gendarmerie survolent Toulouse à très basse altitude dans le cadre d’un vaste exercice national de surveillance. Présentée comme anodine par la préfecture, dans quel contexte s’inscrit cette manoeuvre et dans quel cadre légal agit-elle réellement ?

 

Si vous avez jeté un œil dans le ciel toulousain ces derniers jours, vous l’avez sans doute remarqué. Comme l’ont relayé plusieurs médias locaux récemment, la gendarmerie survole depuis une dizaine de jours l’agglomération toulousaine, parfois à peine à 50 mètres du sol.

Interrogée le 31 janvier dernier, la préfecture de Haute-Garonne s’explique :

« Ces vols à basse altitude dans le ciel toulousain s’inscrivent dans le cadre d’une préparation en amont des grands événements sportifs. Cette opération vise donc à la protection de la population, dans un objectif de préparation opérationnelle en vue des grands événements à venir, notamment la coupe du monde de Rugby 2023 ou encore les JO de 2024 ». 

Avant de préciser :

« Ce type de survol est régulièrement effectué au-dessus des agglomérations françaises par des aéronefs de l’armée de l’Air, de la Gendarmerie ou de la Sécurité Civile. »

Rien d’extraordinaire donc.

Nos confrères du site 20 Minutes titraient même le 1er février dernier : Toulouse : « Pourquoi il ne faut pas s’alarmer de l’hélicoptère de la gendarmerie qui va survoler la ville »

Pourtant, le contexte dans lequel s’inscrit cette opération et le cadre légal qui la permet soulèvent d’épineuses questions. Notamment sur la garantie et le maintien des libertés fondamentales individuelles et publiques.

Les JO comme accélérateur de surveillance

Depuis une vingtaine d’années, les différentes crises mondiales qui se sont succédées ont permis une expansion quasi-constante de l’industrie de la surveillance. De même, le progrès technologique couplé à l’accroissement des risques mondiaux actuels (environnementaux, terroristes, sociaux, économiques ou militaires) coïncide avec une importante mutation normative qui permet un recours massif des autorités publiques à des outils de surveillance toujours plus innovant.

Comme le relève les experts de la Quadrature du Net, depuis des années, les JO sont l’occasion pour les pouvoirs en place de s’allier aux industriels pour déployer et tester de nouveaux dispositifs de surveillance. Drone, reconnaissances faciales et analyse de comportements… l’arsenal sécuritaire technologique évolue à vitesse grand V.

En 2008, le gouvernement chinois déploie un équipement massif de caméras de surveillance en milieu urbain à l’occasion des JO d’été.

En 2014 et 2016 le Brésil se tourne vers le géant de l’informatique IBM pour développer un système de centralisation de données destiné à prévenir les risques, avant d’accueillir la coupe du monde de football et les jeux de Rio de Janeiro. Ce système couplant algorithmique et calcul intensif signait alors les débuts des fameuses Smart City que nous connaissons actuellement en France, véritables villes contrôlables à distance.

En 2018, avançant la crainte d’attaques Nord-Coréenne lors des jeux d’hiver, la Corée du Sud déploient chasseurs de drones et avions tactiques aériens à reconnaissance faciale pour la première fois.

En 2020 et 2021 tout prêt d’accueillir successivement les jeux d’été et la coupe du monde de rugby, Tokyo et les japonais découvrent les premières expérimentations puis l’institutionnalisation progressive de la reconnaissance faciale.

Actuellement en cours à Pékin, les JO d’Hiver 2022 sont, eux aussi, le théâtre d’une course aux très hautes technologies de surveillance. Aussi bien pour les habitants du pays que pour les athlètes et leurs délégations.

À l’image du survol de Toulouse ces derniers jours, la France n’est pas en reste et compte bien profiter de l’organisation de la coupe du monde de rugby l’an prochain et des JO de Paris 2024 pour tester de nouveaux outils techniques de surveillance.

Le droit comme support d’expérimentation

On attribue souvent dans l’imaginaire collectif les dispositifs de surveillance biométrique à des régimes autoritaires comme la Chine ou la Russie. Mais ces technologies sont en réalité déjà testées dans bon nombre de démocraties occidentales. Selon nos confrères de Reporterre, les jeux de Paris devraient même être le premier événement sportif de cette envergure à déployer la technologie de la reconnaissance faciale sur des millions de spectateurs.

Ainsi, un simple scan de votre visage pourrait déterminer votre droit ou non à accéder à certains lieux sécurisés sur le site des JO.

Les autorités expérimentent également différentes technologies de surveillance aérienne pour anticiper des mouvements de foule ou détecter des comportements dits « anormaux ».

Pourtant, si la loi Sécurité Globale (largement censurée par le Conseil Constitutionnel) avait permis un certains nombres d’évolutions du cadre normatif pour faciliter les expérimentations, le déploiement de ces nouvelles technologies biométriques agit pour l’instant en dehors de tout cadre légal existant.

Pour contourner les chambres législatives et tout processus démocratique, les pouvoirs publiques et les industriels ont alors recours au procédé classique de « l’expérimentation normative », tel que le prévoit l’article 37-1 de la constitution.

Il stipule ainsi que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental. » Il donne un fondement constitutionnel aux expérimentations portant sur le transfert de compétences nouvelles aux collectivités territoriales.

C’est au travers de procédé législatif qu’à l’image de Toulouse depuis une dizaine de jours, plusieurs municipalités en profite pour s’engager dans cet agenda sécuritaire.

C’est notamment le cas de Saint-Denis et de son nouveau centre de supervision urbain (CSU) sorti de terre à l’approche des JO ; ou encore de la commune d’Elancourt dans les Yvelines qui souhaite devenir une « vitrine » de la surveillance en milieu urbain à l’occasion des jeux de Paris

Malgré un cadre légal contestable et des nouvelles technologies jugés dystopiques par certains, un nouvel ordre sécuritaire semble s’instituer sans trop faire de bruit, parfois juste au dessus de nos têtes.

Le chercheur et sociologue Florent Castagnino parle alors d’une « banalisation de la surveillance ».

« Toute une série de travaux a en effet mis l’accent sur le caractère banal que prenaient aujourd’hui toutes ces techniques d’enregistrement et de collecte de données dans la vie quotidienne. On en vient à parler de ‘banalisation de la surveillance’ »

De quoi regarder le ciel toulousain actuel autrement.

 

Crédit photo // Le Monde Informatique