Mercredi 15 février 2022 se tient à la cour d’appel de Toulouse le procès de huit militants de l’association écologiste de désobéissance civile ANV-Cop21. Le parquet les accuse de vol en réunion pour avoir dérobé un portrait officiel du président dans une mairie de Bordeaux. Leur justification : la nécessité d’alerter sur la gravité de la crise climatique. Aurore Daubisse, 29 ans, fait partie des prévenus.
Quel est le but de la campagne « Décrochons Macron » ?
Aurore Daubisse : C’est une série d’actions éminemment symbolique, partout en France on pique en mairie un portrait qui ne coûte que 9,90 euros sur le site de l’Élysée, mais qui représente beaucoup. On décroche un portrait officiel pour laisser à la place une image sombre du président avec écrit “où est Macron”. Ça permet de montrer son absence complète sur le terrain de l’écologie notamment au niveau local : il n’est pas là, rien ne bouge, mais il fait le fanfaron au niveau international. On le fait sans rien dégrader et en assumant notre action, à visage découvert.
On se sent hyper légitime, Macron a pris des engagements devant le peuple et le monde, il faut qu’il les respecte. Ce président protège les riches et les puissants et tue la planète en nous faisant porter la responsabilité, c’est effarant.
Quelle a été la réaction de l’État ?
Forcément, on s’attendait à ce que ça chauffe. De toute évidence, il y allait avoir une répression, on touche à l’image du roi. Avec ANV, on recherche ce genre de procès, ça nous donne une tribune pour défendre nos idées et dénoncer l’inaction de l’État. Des militants écologistes non-violents traînés en justice pour avoir volé une photo à dix balles, c’est choquant pour l’opinion publique. Après, on a quand même été sidéré par l’ampleur de la répression. À travers la France, c’est des dizaines de procès qui ont eu lieu. Pour notre groupe à Bordeaux, on est déjà passé quatre fois en quatre ans devant le juge. C’est énorme quand on sait que certains plaignants attendent des années avant de passer devant un tribunal. Les moyens mis dans ce dossier par le gouvernement sont hallucinants, on a même eu droit à un dossier du BLAT (le bureau de lutte antiterroriste). Potentiellement, je suis fiché S, on marche sur la tête !
« Des militants écologistes non-violents traînés en justice pour avoir volé une photo à dix balles, c’est choquant pour l’opinion publique. »
Concrètement, la plupart des décrocheurs ont été condamnés, mais certains ont réussi à faire valoir l’état de nécessité, une notion juridique qui consiste à autoriser une action illégale pour empêcher la réalisation d’un dommage plus grave, en l’occurrence l’urgence climatique. Pour un juge, reconnaître ça, c’est extrêmement tendu politiquement donc ils le font peu. La plupart des relaxes se sont faites sur l’argument de la liberté d’expression, autrement dit que notre action était utile au débat public et qu’une condamnation était disproportionnée au vu de la faible gravité du délit.
Avec les sept autres décrocheurs, on a été condamné en première et seconde instance mais en cassation l’argument de la liberté d’expression a fonctionné. Le tribunal nous a renvoyé en Cour d’appel le 15 février à Toulouse. On est assez confiant, on pense qu’on va être relaxé vu le jugement en Cassation et les sept relaxes déjà obtenues par d’autres groupes, mais sur ce genre de sujet très politique, ça va beaucoup dépendre du juge sur lequel on tombe.
Comment avez-vous encaissé ça ?
Certains ont fait profil bas, d’autres non. Je fais partie des personnes qui n’allait plus en manifestation par exemple. Être traîné devant la justice, ça m’a fait peur, j’ai fait une sorte de burn-out militant. À ANV, j’avais beaucoup de responsabilités, après cette histoire, j’ai tout arrêté. C’était dur.
En tout cas, ANV a continué d’être active à Bordeaux. Certes, on est en procès, mais on se sent légitime. Il faut rappeler que l’enjeu est énorme. À court terme, on parle d’extinction de masse, de milliers de réfugiés climatiques, d’augmentation globale et massive des températures et tout ce que ça entraîne, mais aussi de l’augmentation d’épiphénomène climatiques (tempêtes, inondations, tsunamis…). En France, dans les prochaines décennies, on prévoit la disparition de toute trace de neige dans les Pyrénées, la désertification de la Provence et la submersion de villes comme Bordeaux ou Marseille donc ce n’est pas un procès qui va nous arrêter.
Que pensez-vous du traitement de l’écologie à l’élection présidentielle ?
C’est triste, mais j’ai pas trop d’espoir dans ces élections. Pour le moment, on ne parle que du covid et de l’immigration et encore du covid. Je n’en peux plus, il n’y a pas de débats publics enrichissant sur l’écologie. À part Mélenchon et Europe Ecologie-Les Verts, aucun candidat n’a de programme ambitieux.
Le pouvoir d’achat c’est le seul sujet important qui est abordé mais il faut élargir le regard. L’économie c’est pas seulement le PIB et la croissance. Il faut avoir une vraie réflexion sur les modèles de décroissance, car il y a urgence. Il faut surtout arrêter de faire peser la culpabilité de la crise climatique sur les individus. Si tout le monde devenait colibris [citoyen promouvant une écologie individualiste basée sur une consommation très éco-responsable] ça ne réduirait qu’un quart de la pollution. La majeure partie n’est pas engendrée par les citoyens lambdas, c’est l’industrie, les grandes entreprises et les milliardaires.
Le souffle d’engagement ressenti dans les milieux écologistes depuis 2015 n’est-il pas un peu retombé ?
Oui c’est vrai, comme beaucoup d’associations, on peine beaucoup plus à mobiliser les gens. C’est très dur à long terme de s’extraire de l’individualisme et de se mobiliser dans une lutte pour notre avenir collectif.
Sans compter qu’aujourd’hui il y a plus de 10 millions de pauvres en France qui sont dans la survie ce qui rend le militantisme difficile. La classe moyenne est comme endormie, en particulier depuis le covid. Les autorités leur disent à longueur de temps de rester chez eux, d’éviter les contacts et les rassemblements et que tout ça sera temporaire. On nous apprend à se méfier les uns des autres, que la faute vient des immigrés et qu’il vaut mieux passer ses soirées sur Netflix. C’est très difficile de sortir de cette torpeur.
Le covid a un peu cassé la dynamique qui avait pris depuis quelques années, ça a affaibli considérablement les différents collectifs. On ne peut plus se réunir ou difficilement. Les bars et les cinémas sont interdits aux non-vaccinés. Toutes ces restrictions ont stoppé un élan. Selon moi c’est très alarmant. Quand on fait le compte, en 2 ans, on a eu trois confinements, un couvre-feu pendant six mois et maintenant le passe vaccinal. On supprime des lits d’hôpital et on augmente les mesures sécuritaires. Peu à peu, sans faire de bruit, on glisse doucement dans un État autoritaire. Si on nous avait annoncé ce qui allait nous arriver il y a un an ça aurait été l’émeute, aujourd’hui la plupart des gens l’acceptent sans broncher.
Elie TOQUET
Photo d’entête © Chris Charousset