Cette année, la Marche des fiertés, fête ses 50 ans. À cette occasion, découvrez le dossier spécial d’Univers-Cités sur la Pride de Toulouse.
Patrick Fontanel participe à la Marche des fiertés de Toulouse depuis sa première édition, il y a 25 ans. Cette année, il vient en renfort de l’association Pride Toulouse qu’il a contribué à créer il y a trois ans. Depuis le 13 mai, l’association regroupant 53 collectifs organise le Festival des fiertés qui s’achèvera par une marche le 8 juin 2019. Entretien.
Comment est née l’association Pride Toulouse ?
C’est l’émanation d’une association qui existait déjà et qui s’appelle Arc-en-ciel et qui avait trop de travail. On a décidé de créer une association qui s’occuperait exclusivement de la Marche et du festival.
Maintenant, Arc-en-ciel s’occupe de l’accueil des personnes LGBT qui ont des questions à poser. À l’espace diversité laïcité, il y a un centre LGBT tous les samedis. Ils continuent à faire de l’intervention en milieu scolaire. Mais ils ne s’occupent plus du tout de l’organisation de la Pride.
Cette année, la Marche des fiertés toulousaine fête son 25ème anniversaire. Est-ce que cela a une résonance particulière ?
Alors, c’est à la fois la 25ème édition de la Marche à Toulouse et surtout ça commémore le 50ème anniversaire des émeutes de Stonewall. Les Marches des fiertés ne sont pas venues comme ça. Elles font suite à des émeutes qui ont eu lieu dans ce bar.
Pour la première fois, les clients du bar, qui étaient essentiellement des gays, des lesbiennes, des travestis et des personnes transgenres en ont eu marre de se faire insulter, tabasser, racketter par les policiers.
Ils ont décidé de se révolter. Les policiers ont été très surpris de leur réaction et ont fait machine arrière. Ils se sont sentis renforcés et, suite à ça, le mouvement LGBT a commencé, d’abord aux Etats-Unis puis dans le monde entier.
L’année d’après, en 1970, pour commémorer cet événement, il y a eu la première Marche à New York. C’est arrivé en France quelques années plus tard et il a fallu attendre 25 ans pour que ça arrive à Toulouse. Depuis 25 ans, ça a lieu chaque année pour commémorer ces événements.
Depuis 50 ans, la société prend davantage en compte la cause LGBTQI+ mais il y a encore du chemin à faire pour plus d’égalité. Dans 50 ans, selon vous, on en sera où ?
On est parti de pas grand-chose, c’est-à-dire de gens qui étaient oppressés voire cachés, qu’on préférait ne pas voir du tout, qui se réunissaient dans des caves, dans des endroits secrets, qui ne devaient pas être vus en public. Maintenant, il y a plus d’acceptation, des lois qui protègent, qui renforcent l’égalité.
À l’époque -et c’est encore le cas dans d’autres pays- aux Etats-Unis et en France, les homosexuels étaient des sous-citoyens. Ils ont le droit de vote mais il ne fallait surtout pas qu’ils s’affichent.
Dans 50 ans, on peut toujours être optimiste et s’imaginer que la bêtise aura disparue mais on ne peut pas empêcher les gens d’être bêtes et d’être intolérants, sectaires, d’avoir des idées préconçues.
On espère juste qu’il y en aura de moins en moins. Dans les faits, la société évolue. Il y a encore dix ans, le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels étaient encore inconcevables.
Maintenant, la majorité des Français ne trouve rien à redire parce qu’ils se sont rendus compte que le chaos annoncé par les détracteurs n’est pas arrivé, ce n’est pas ça qui a fait basculer la société dans la pauvreté ou la violence.
Cette année encore, Pride Toulouse organise le Festival des fiertés et la Marche du 8 juin. Comment 53 associations et collectifs travaillent ensemble ?
C’est un travail de longue haleine. Sitôt la Marche des fiertés terminée, l’équipe va se reposer trois ou quatre jours et puis elle va dresser un bilan en listant tout ce qui s’est bien passé et tout ce qui est à améliorer. Début juillet, il va y avoir l’assemblée générale de l’association en présence des 53 associations adhérentes qui vont être invitées à donner leur avis avec l’élection d’un nouveau bureau, d’un nouveau président. Ensuite, on se précipite pour bloquer la date de la Marche de 2020 en disant à la mairie par courrier officiel : « tel jour en 2020, on souhaite avoir la Place du Capitole ».
Dès début septembre, on a la réponse de la Mairie. Très rapidement, on demande aux associations de réfléchir à des événements qu’elles souhaitent organiser dans le cadre du prochain festival. Pour nous, la Marche, c’est le bouquet final de trois à quatre semaine d’événements. C’est indissociable du Festival.
Depuis 25 ans, qu’est ce qui a changé dans le déroulement de la Pride de Toulouse ?
J’ai suivi les 25 Marches depuis la première. Je suis l’encyclopédie de l’association.
La première Marche des fiertés, pour tout vous dire, on était mort de trouille.
On ne savait pas comment les gens allaient réagir, si on allait se faire insulter, taper dessus, est-ce qu’on allait avoir les policiers en face de nous pour nous matraquer ou pas.
Finalement, ça s’est super bien passé. Hormis l’organisation pour laquelle la Préfecture et la Mairie nous ont mis des bâtons dans les roues à l’époque. La Mairie était de droite et ne voulait surtout pas voir d’homosexuels dans les rues. Ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour ne pas qu’elle ait lieu même si le droit de manifester en France est garanti.
Le circuit autorisé ne passait pas par le centre-ville. On était le long de la Garonne, sur l’île du Ramier, à faire le tour du parc des expositions. Autrement dit, c’était un coup dans l’eau puisque le but d’une marche est d’être visible.
Depuis 25 ans, c’est rentré dans les mœurs. Les élus, même de droite, ont fini par baisser les bras entre guillemets. Et puis, c’est devenu un événement majeur finalement, y compris économique. Les élus se sont rendus compte qu’il y avait beaucoup d’argent qui arrivait ce jour-là : des gens qui dorment dans les hôtels, qui consomment dans les restaurants donc qui injectent de l’argent dans l’économie locale.
Donc, aujourd’hui, il y a même de la pub pour inviter des gens à venir à Toulouse à ce moment-là. C’est tout bénéfique pour la ville, le département et la région.
Est-ce que ça joue dans le fait que l’Occitanie soit devenue depuis l’an dernier une « région friendly » ?
Je dirais que c’est plutôt dans l’autre sens. La région est devenue friendly parce qu’il y avait deux gros événements, un à Toulouse et un à Montpellier, qui attirent du monde. Il fallait capitaliser sur ça pour attirer une clientèle variée. En l’occurrence, ils font de la promotion auprès du public, du tourisme LGBT, en France et dans le monde entier, on peut dire.
Pour avoir fait pas mal de Marches, je pense que Toulouse est la seconde plus importante en France, après Paris, en terme de nombre de manifestants.
Est-ce que cette appellation représente plus un moyen de promouvoir le tourisme plus que de promouvoir la diversité selon vous ?
Ça va avec. Ils s’accaparent le fait qu’il y ait un tissu associatif et des gens qui organisent des événements qui attirent des dizaines de milliers de personnes. C’est très politique, ils n’ont pas fait grand-chose.
Ils ont obtenu le label parce qu’il y a plein d’établissements LGBT, deux grandes Marches et qu’ils s’en sortent plutôt bien par rapport à d’autres régions.
Après, c’est un peu creux, il n’y a pas grand-chose derrière le terme « région friendly ». Il n’y a pas forcément une politique et d’actions faites en ce sens.
Cette année, Monica Benicio, la veuve de Marielle Franco est la marraine du festival. Pourquoi ce choix ?
Ça fait plusieurs années qu’on se dit qu’il serait bien d’avoir un parrain et une marraine pour donner un peu plus d’envergure à l’événement. On a pensé à cette femme qui est la veuve de Marielle Franco pour porter un message d’espoir. Parce qu’elle vit dans un pays, le Brésil, où suite à l’élection de Bolsonaro, qui est franchement d’extrême droite, les populations LGBT ont commencé à paniquer sans savoir ce qui allait se passer pour elles.
Marielle a été assassinée en raison de ses convictions et son engagement pour la communauté LGBT et sa veuve poursuit son combat et essaie de raviver la flamme pour ne pas qu’on oublie le travail qu’avait fait son épouse.
L’événement aussi cette année est qu’on prend de l’envergure internationale via notre parrain qui est le président de Fiertés Montréal, Erice Pineault. On fait un jumelage avec la Marche des fiertés de Montréal qui est la deuxième plus grande Marche du Canada.
Si vous deviez retenir un événement de ce festival, lequel serait-il ?
Je dirais qu’il y en a même trois. En fait, les trois collectivités territoriales se sont investies comme jamais pour la première fois cette année. Au niveau de la région, l’événement majeur est le concert dans la salle de réception qui aura lieu vendredi, qui est gratuit sur inscription. Transformer la région en discothèque, c’est du jamais vu.
La veille, auprès du Conseil départemental, il y a la soirée d’hommage à Marielle Franco.
Et après, la Mairie fait un effort manifeste cette année aussi puisqu’ils vont illuminer le Pont-Neuf aux couleurs de l’arc-en-ciel. Et samedi,, Monsieur le Maire appuiera sur un bouton pour illuminer la façade du Capitole. Si tout se passe comme prévu, il y aura une bande son qui va expliquer pourquoi on illumine la mairie et ça se terminera avec « Over the rainbow » de Judy Garland, qui est un peu l’hymne des LGBT.