À l’occasion des Assises du journalisme à Tours, une table ronde abordait la question des femmes dans les médias. Un débat en plein dans l’actualité après les récentes révélations sur la Ligue du LOL.
« Les femmes parlent environ deux fois moins que les hommes dans les médias. » Dès le début, les résultats de l’enquête de David Doukhan donnent le ton. Après les récentes révélations sur la Ligue du LOL, la question du sexisme dans les médias et au sein des rédactions était l’une des tables rondes attendues de ces douzièmes Assises du journalisme à Tours.
Depuis plusieurs années, la profession se féminise. En 2018, les femmes représentent 47 % des journalistes ayant obtenu une carte de presse. David Doukhan, chercheur à l’INA, a analysé l’évolution du temps de parole des hommes et des femmes dans le secteur de l’audiovisuel français. Et celui-ci progresse. À la télévision, le temps de parole des femmes est passé de 30 à 35 % tandis qu’à la radio, il a même augmenté de dix points. « Pour des habitudes ancrées dans le temps, ce n’est pas rien. C’est une grosse augmentation et donc ça laisse supposer que si ce mouvement continue, il serait possible que dans 30 ans, le temps de parole soit égal », analyse le chercheur.
Sauf que ces chiffres cachent une réalité plus complexe. Béatrice Damian-Gaillard, maître de conférence en sciences de l’information et de la communication l’affirme : « Les inégalités de genre persistent ». Les hommes et les femmes journalistes ne se voient pas attribuer les mêmes postes, sujets, statuts et salaires. La chercheuse a même constaté qu’on ne confiait pas les mêmes missions aux stagiaires selon le sexe de ces derniers.
« On ne se pose pas la question de savoir si des hommes sont compétents. Alors que pour des femmes, on réfléchit avant de les envoyer sur le terrain. »
Les femmes sont ainsi plus nombreuses à exercer des postes faisant partie de ce que l’on qualifie de journalisme « assis », loin des figures prestigieuses de grand reporter. Au final, pour Béatrice Damian-Gaillard, la féminisation s’est opérée par le bas, laissant les journalistes de sexe féminin très exposées à la précarité.
La bataille de l’égalité
Une situation qui a poussé un collectif de journalistes femmes au sein de la rédaction des Echos à lancer en juin 2013 « une grève des signatures ». Agacées par la sous-représentation du « sexe faible » en haut de la hiérarchie, elles ont retiré leurs noms des articles pour protester contre ce plafond de verre. Résultat, un article sur deux n’était pas signé. Aujourd’hui, ce collectif a de nouveau entamé des négociations avec la direction des Echos afin d’instaurer la parité au sein des instances dirigeantes. « On vient de prendre des engagements : dans cinq ans, les postes de directeurs en chef devront être occupés par 50% de femmes », explique Elsa Freyssenet, grand reporter pour Les Echos.
Une démarche saluée par Léa Lejeune, journaliste à Challenges et présidente de Prenons la Une, association de femmes journalistes.
« Il faut passer par des accords, poser des objectifs chiffrés afin de pouvoir observer une évolution. Sinon, le risque, c’est que ça se tasse et que les promesses soient oubliées. On est malheureusement obligées de passer par des outils coercitifs.»
Prenons la Une milite aussi pour que les postes à pourvoir soient mentionnés dans des annonces accessibles et visibles par tous en interne, puis en externe. Car d’après Léa Lejeune, « le recrutement au sein des médias s’effectue dans une logique d’entre-soi.»
Des Etats généraux des journalistes femmes
Le 7 mars 2019, quelques semaines après les premiers témoignages sur la Ligue du LOL, Prenons la Une, Paye ton journal et Nous Toutes ont révélé les résultats de l’enquête menée au sein des rédactions sur les cas d’agressions sexuelles et sexistes.
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La présidente Léa Lejeune a fait partie des quinze premières journalistes femmes à déclarer être une victime de la Ligue du LOL.
« À l’époque je me suis sentie très isolée. Les autres journalistes ne prenaient pas ça au sérieux. La direction n’a pas réagi. »
Pour Elsa Freyssenet, le risque dans ce genre de situation est de tomber dans l’isolement. « C’est en discutant que nous nous sommes rendues compte que nous partagions les mêmes problèmes que nos consoeurs», raconte-t-elle. Depuis, Prenons la Une a annoncé l’organisation d’Etats généraux des femmes journalistes le 13 avril prochain afin que les journalistes femmes partagent leurs expériences et apportent des solutions à cette question du harcèlement sexuel.
Une dernière solution a été apportée par Béatrice Damian-Gaillard : instaurer des cours de sociologie du genre au sein des écoles de journalisme. Une proposition déjà mise en avant par Prenons la Une.
Photo de couverture : de gauche à droite : Elsa Freyssenet, Léa Lejeune, Béatrice Damian-Gaillard, David Doukhan, François Quinton. © Gael Turpo.