Ils étaient plus d’une centaine à assister à cette conférence sur le journalisme et les réseaux sociaux jeudi 14 février 2019. La Saint-Valentin, oui, mais pourquoi ne pas en apprendre davantage sur l’information alternative, les manipulations et dérives du web ? La réunion a eu lieu salle du Sénéchal, à Toulouse. Le public, réceptif, est resté pendant près de deux heures et demi. Dans l’auditorium, des jeunes, mais aussi beaucoup de quinquagénaires.
Organisée par l’Université populaire de Toulouse, la fondation Copernic 31 et les Amis du Monde Diplomatique, la conférence a accueilli les foules en ce soir de Saint-Valentin. Nikos Smyrnaios animait cette réunion sur les médias 2.0. Une conférence avec beaucoup de chiffres. Comme une lecture du monde dans lequel nous vivons, celui de l’usage de nos réseaux sociaux mais aussi de nos nouvelles manières de consommer l’information.
Nikos Smyrnaios est maître de conférence à l’Université Jean Jaurès de Toulouse. Il est membre du Laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales (LERASS). Il a notamment publié en co-direction avec Franck Bousquet un numéro de la revue Sciences de la Société sur le thème « Les mutations de l’information et des médias locaux ». Il est aussi l’investigateur de différentes réunions ou conférences scientifiques pour les médias. Un chercheur engagé dans la recherche autour du journalisme 2.0.
L’omniprésence des réseaux sociaux
Historiquement, les médias d’information sont au cœur de ce que le philosophe Jürgen Habermas appelle l’espace public, à savoir le lieu où se confrontent les points de vue et les opinions sur des problèmes de nature politique. Cette confrontation permet aux citoyens de se forger une opinion éclairée sur les enjeux de leur époque et d’effectuer des choix en conséquence, notamment au moment des élections. Avec le phénomène des Gilets jaunes, les réseaux sociaux et les médias prennent aussi un tout autre symbole qui sera analysé par le chercheur tout au long de son récit.
Or, depuis quelques années, le public semble de plus en plus se tourner vers internet pour s’informer : 70% de Français consultent des sites d’information, alors qu’ils sont moins de 25% à lire la presse papier. Par ailleurs, un cinquième des 18-34 ans dit utiliser les réseaux sociaux comme source d’information prioritaire au quotidien, selon Nikos Smyrnaios.
Au milieu du public, Martine, la cinquantaine passée, les cheveux au carré, trouve la conférence très intéressante.
« Je ne savais pas qu’il y avait ces choses, les algorithmes qui proposent le contenu de mes amis sur mon fil d’actualité », s’inquiète-t-elle.
Nikos Smyrnaios de continuer, sur les raisons sociologiques du web et des réseaux sociaux. « On n’utilise pas tous internet de la même manière. Les Gilets jaunes à la base sont majoritairement sur Facebook car ils se sont appropriés ce média. Le mouvement est parti de là. Mais les profils sur les réseaux sociaux varient énormément. Sur Twitter par exemple, il y a plus de cadres et d’internautes diplômés représentés. Les messages de soutien aux Gilets jaunes sont très rares ». Le chercheur du LERASS évoque aussi l’organisation des évènements via Facebook, alors que Twitter ne se contente simplement que de relayer les informations des médias traditionnels. Les Gilets jaunes n’ont définitivement pas pris le virage de l’oiseau bleu.
Une tendance renforcée par l’adoption croissante de l’internet mobile et par la grande diversité de sources disponibles en ligne. Au-delà des médias professionnels, de nombreux sites militants permettent aussi de diffuser une parole engagée en faveur de la justice sociale et de l’émancipation politique qui ne trouve que rarement sa place dans les médias dominants. Par ailleurs, la nature interactive et participative des médias numériques rend possible le dialogue, la critique et l’interpellation.
> POUR EN SAVOIR PLUS, consulter ce billet.
A cela il faut ajouter des problèmes propres à internet. La difficulté de réguler l’expression en ligne et d’identifier les interlocuteurs fragilise le débat public qui s’y déroule : la propagande raciste et homophobe, la manipulation, la désinformation à grande échelle y pullulent. Ces dérives sont aggravées par le contrôle monopolistique qu’exerce une poignée de multinationales états-uniennes, dont Google et Facebook, sur les canaux de diffusion de l’information en ligne. La conférence a comme objectif d’apporter un éclairage sur ces questions cruciales pour le fonctionnement de la démocratie. Martine en est consciente, elle utilise principalement Facebook.
« C’est bien expliqué, je me retrouve tout à fait dans ces faits. J’apprends quand même des choses sur ces multinationales et leurs pratiques commerciales », confie la retraitée.
Notre point de vue
Avec une certaine habilité, Nikos Smyrnaios fait une éducation des médias. Le public présent jeudi soir venait s’informer sur les réseaux sociaux et les dérives de leurs usages. Ce « cours », en quelque sorte, reprenait le discours de la sociologie des médias, avec des études complètes et scientifiques.
« La source de la désinformation est celui qui diffuse la désinformation. C’est un problème politique qui vient très souvent de l’extrême droite », explique Nikos Smyrnaios.
L’intérêt, ou bien le risque, de la conférence était son engagement. Un engagement politique discret mais présent. Tout scientifique doit prendre parti, c’est le moteur de la recherche. Toutefois, aucune mention de « l’extrême gauche » ou encore d’une « tendance politique à gauche » n’a été décriée ou citée lors de cet exposé. De même, la critique des médias traditionnels pouvait parfois être facile.
En guise de conclusion, Nikos Smyrnaios donne son avis sur le mouvement des Gilets jaunes. Il incite le public à lire les médias citoyens engagés sur Facebook. Le chercheur n’a pas hésité à conseiller le pureplayer Vécu, comme source d’information légitime.
« J’aime beaucoup ce que fait ce garçon », indique Nikos Smyrnaios en parlant de ce média.
Un pureplayer n’est pas plus une source fiable qu’un média traditionnel qui ne recouperait pas ses informations. C’est sûrement le point le plus regrettable pour le chercheur du LERASS qui prend parti dans cette crise des Gilets jaunes pour laisser au final une mauvaise impression.