Julien Brel est membre du Syndicat des avocats de France. Dans ce cadre, il participe, depuis décembre 2018, à l’Observatoire des pratiques policières, aux côtés de la Ligue des Droits de l’Homme et de la Fondation Copernic. Au lendemain du vote à l’Assemblée nationale ce 5 février 2019 de la « loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations », il nous reçoit dans son cabinet des Minimes. Recul des libertés fondamentales, répression policière : l’avocat spécialiste du droit des étrangers s’indigne.

Pour quelles raisons avez-vous décidé de vous engager auprès du Syndicat des avocats de France (SAF) ?

Je suis membre du SAF depuis que je suis avocat, c’est-à-dire depuis quatorze ans. Ça me semble indispensable quand on exerce une activité professionnelle. Pour défendre ses propres intérêts de salarié ou de profession indépendante mais aussi parce que le SAF porte des valeurs auxquelles j’adhère et notamment la défense des plus démunis et des auxiliaires de justice qui leur viennent en aide. C’est donc un engagement sur les questions d’aide juridictionnelle, d’accès au droit, de libertés publiques et fondamentales, de défense des étrangers, de la liberté de manifester, de dénonciation des lois répressives.

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Est-ce ce même engagement qui vous a poussé à devenir militant de l’Observatoire des pratiques policières (OPP) ?

Le SAF est membre de l’OPP depuis de très nombreux mois. Il nous est apparu, au mois de décembre, qu’il fallait qu’une partie des membres du SAF aille dans cet observatoire. C’est une démarche légitime et forte et il fallait prendre notre part dans ce travail militant que constitue l’OPP. Comme on doit prendre notre part sur toutes les gardes à vue, déferrements, comparutions immédiates. On fait avec les moyens du bord qui ne sont pas exceptionnels non plus.

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En quoi consiste le fait de « prendre votre part » ?

Participer aux réunions de l’OPP. Parce que l’observatoire ce n’est pas seulement observer les manifestations. Il y a toute une démarche dans la rédaction du rapport, dans l’organisation de l’observatoire :

Comment on se comporte en manifestation ? Comment on se positionne ? Comment on assure notre propre sécurité vis-à-vis de la violence actuelle qui a cours dans les opérations de maintien de l’ordre ?

Le gros du travail de militant consiste à être présent dans les manifestations du samedi, mais aussi celles des femmes, du climat et la grève générale de mardi dernier. En fait, c’est assurer une présence d’observateur à chaque fois qu’il y a une manifestation avec une présence policière et la gendarmerie qui sera nécessairement assez exceptionnelle puisqu’on est en train de s’habituer à ces manifestations extrêmement encadrées, ce qui est déjà un problème.

Le SAF s’est réellement engagé à partir de décembre. Les Gilets jaunes ont-ils joué un rôle de déclencheur dans ce cadre-là ?

Oui, clairement. Ce fut un engagement à retardement puisque l’OPP s’est monté, à l’origine, au moment de la loi travail. Déjà, la LDH, la Fondation Copernic et le SAF, avaient constaté des changements dans les opérations de maintien de l’ordre. L’observatoire était né de ces constats et de la nécessité d’objectiver un constat qui était subjectif. Mais c’est vrai que le SAF s’est un peu réveillé avec le mouvement des Gilets jaunes et surtout avec le niveau de répression absolument délirant, qu’on peut vraiment qualifier d’historique. Il nous est apparu d’autant plus nécessaire de rejoindre les troupes qui étaient déjà présentes.

La « loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations », dite « loi anti casseurs », vient d’être votée à la majorité par l’Assemblée nationale. Vous parliez, lors de votre conférence de presse du 29 janvier 2019, de « politique du chiffre ». Est-ce qu’elle a joué un rôle dans la légitimation de cette loi ?

Oui parce que c’est un cercle vicieux très largement mis en place par l’Etat. Il y a un mouvement social absolument inédit et populaire qui s’inscrit dans la durée.

C’est un mouvement qui est historique à bien des égards. Il n’y a strictement aucune réponse politique à ce mouvement qui dure depuis bientôt trois mois. En revanche, d’un point de vue répressif, on apporte une réponse.

Cette réponse répressive sert un discours de l’Etat pour délégitimer un pouvoir populaire. Puisque, comme on ne répond pas aux légitimes revendications de ce mouvement populaire, on le décrédibilise, le délégitime. On va faire en sorte de créer ces prétendus casseurs pour convaincre l’opinion publique que ce sont des manifestations auxquelles il ne faut pas se rendre.

Pour cela donc, on a parlé de la question de la « politique du chiffre ». Puisque, pour servir ce discours, il faut des chiffres. Les chiffres les plus importants pour servir le pouvoir, ce sont le nombre d’interpellations, le nombre de déferrements, le nombre de comparutions immédiates. Ce qui justifie le fait d’envoyer autant de policiers sur le terrain puisqu’il y a des casseurs, des infractions, la nécessité d’utiliser des armes de guerre.

Cette logique du chiffre vient servir le discours du pouvoir et donc, aussi, des nécessités assez fantaisistes de créer de nouvelles lois, de nouvelles infractions. Comme si l’état du droit actuel, déjà extrêmement répressif, n’était pas déjà suffisant. 

Vous parlez de législation répressive. Dans les derniers mois, a-t-elle eu tendance à prendre le pas sur les libertés fondamentales ?

C’est précisément ce qui a été mis en avant au niveau du SAF et de la LDH notamment. On s’habitue aux mesures d’exception. On a vécu pendant deux ans sous Etat d’urgence. C’était devenu presque naturel. Depuis le départ, le SAF avait mis en garde sur le fait que c’était une mesure d’exception qui devait rester exceptionnelle par principe. Il s’avère que toutes les mesures contenues dans l’Etat d’urgence ont été inscrites dans la législation classique.

Donc oui, il y a évidemment une offensive assez inédite du pouvoir politique pour s’armer d’outils juridiques et restreindre de nombreuses libertés et, notamment, en dernier lieu, la liberté de manifester et de porter une opinion. La dernière loi -dite « loi anti casseurs » mais qui est clairement une loi anti manifestants– va interdire à de nombreuses personnes de manifester.

C’est un vrai problème et un recul considérable des libertés dans notre pays.

La « loi relative à la protection du secret des affaires » puis la perquisition de Médiapart en début de semaine dénotent une limitation, à son tour, de la liberté de la presse. Qu’est-ce que cela traduit de la posture de l’Etat français ?

L’Etat français est très fort pour donner des leçons sur la question des droits démocratiques et a beaucoup de mal à se regarder le nombril. La manière dont l’Etat français traite les journalistes, mais également de simples manifestants, dénote une situation assez inédite et extrêmement inquiétante. Quand on a pour seules réponses la répression, la restriction des libertés individuelles et collectives, envoyer des procureurs faire des perquisitions chez des journalistes face à un scandale d’Etat, c’est qu’il y a une véritable faiblesse au niveau du pouvoir politique.

Elle se traduit par une augmentation de la pression sur l’indépendance des journalistes et l’indépendance de la justice. Il n’y a jamais eu autant d’instructions envoyées au procureur de la République, notamment sur les questions de gestion des activités courantes comme le traitement des manifestants. C’est un renforcement du pouvoir qui traduit sa faiblesse face à ce mouvement populaire et historique.

Quelle est la cause de cette faiblesse du pouvoir ? A quel moment a-t-on arrêté de vivre dans le tant vanté « pays des Droits de l’Homme » ?

Pour moi, ça fait déjà des années qu’on ne vit pas dans le pays idéal des Droits de l’Homme, si tant est que ça ait pu être vrai. Je fais beaucoup de droit des étrangers et de demandes d’asile. Les personnes qui arrivaient encore avec cette idée il y a une dizaine d’années ne l’ont plus. Il faut vraiment sortir de cette idée.

La France est un pays qui viole les Droits de l’Homme, qui est régulièrement condamné par la Cour européenne des Droits de l’Homme sur des violations des droits fondamentaux.

Ce n’est pas un changement récent, intervenu ces dernières semaines. Il y a une accélération, en revanche, dans les atteintes aux libertés fondamentales. Cette accélération résulte aussi du caractère assez inédit de ce mouvement et de l’absence de réponse classique. D’habitude, le pouvoir peut utiliser différents leviers syndicaux pour essayer de calmer un peu les choses. Là, on a l’impression qu’ils n’ont strictement aucune réponse politique et institutionnelle. Face à ça, l’Etat français est contraint de partir sur le terrain répressif et là, en revanche, il a énormément de réponses. Et ces réponses sont d’une violence assez inédite.