Samedi 2 février 2019, un militant de l’Observatoire des pratiques policières est blessé au front lors de l’acte XII des Gilets jaunes. L’organisation examine les comportements des forces de l’ordre durant chaque manifestation toulousaine depuis mars 2017. Elle dénonce une « politique du chiffre » et condamne l’utilisation « d’armes de guerre ».
« On est par petits groupes de trois ou quatre. Il y a toute une technique qu’on a développée au fil des manifestations», explique Daniel Welzer-Lang alors qu’il entame le comptage des manifestants présents dans le cortège de l’acte XII des Gilets jaunes à Toulouse ce 2 février 2019. Sociologue et militant de la Ligue des Droits de l’Homme, il est co-créateur de l’Observatoire des pratiques policières (OPP) réunissant également des militants de la Fondation Copernic et du Syndicat des avocats de France. Depuis mars 2017, entre 20 et 30 militants prennent en note les agissements des forces de l’ordre pendant l’ensemble des manifestations toulousaines.
« Ça existe dans d’autres villes mais on est le seul observatoire à produire une analyse sociologique derrière. Ce qu’on veut c’est comprendre les logiques du maintien de l’ordre. Et mettre au jour les logiques antirépublicaines, antidémocratiques», précise Daniel Welzer-Lang.
Le déploiement disproportionné d’ « armes de guerre » pendant les manifestations toulousaines
L’observatoire est créé en mars 2017 sur la base d’un constat :
« Le déploiement policier pendant les manifestations contre le centre commercial Val Tolosa, la loi travail et la marche des femmes était disproportionné. »
Deux ans plus tard, au lendemain du rejet par le Conseil d’Etat du référé-liberté demandant l’interdiction de l’usage des lanceurs de balles de défense (LBD), celles et ceux que l’on reconnait par leurs gilets bleus et jaunes condamnent l’ « utilisation inadaptée » de telles armes sublétales.
Lors d’une conférence de presse, le 29 janvier 2019, les représentants de l’OPP condamnent particulièrement l’utilisation de quatre d’entre elles : les lanceurs de balles de défense (LBD), les grenades de désencerclement, les grenades assourdissantes GLI-F4 et les grenades lacrymogènes CM3, plus fortement concentrées en gaz. À noter que la Convention de Genève (1993), interdit l’usage du gaz lacrymogène comme arme de guerre mais l’autorise dans le cadre du maintien de l’ordre interne. Au-delà des armes en tant que telles, Pascal Gossiot, militant de la Fondation Copernic alerte :
« À l’heure fatidique de seize heures trente, on assiste, à la suite d’un simple incident comme un jet de canette, à un grenadage massif […] Les armes dont les policiers doivent théoriquement se servir en cas de danger physique proche, leur servent comme armes d’attaque. »
Il rappelle que cette escalade de la violence ne date pas d’hier. Dans un rapport rendu en décembre 2017, le Défenseur des Droits alertait déjà sur l’encadrement de l’usage des armes sublétales par les forces de l’ordre.
« Il y a, dans notre travail, un avant et un après gilets jaunes. Mais nous souhaitons mettre en exergue que les ingrédients qui constituent aujourd’hui la problématique des pratiques policières étaient présentes avant. »
Une « politique du chiffre » dénoncée par l’OPP
Alors même que l’utilisation de telles armes « ne semblent avoir aucun impact sur le nombre de manifestants en région toulousaine », selon Pascal Gossiot, l’OPP dénonce « une politique du chiffre ». Maitre Julien Brel, membre du Syndicat des avocats de France explique :
« Il y a une volonté de judiciariser le maintien de l’ordre [en multipliant les interpellations et les comparutions immédiates]. Ce sont deux choses antinomiques parce que le maintien de l’ordre, dans la doctrine française, c’est la désescalade [et non l’affrontement]. »
Lors de la conférence de presse du 29 janvier 2019, il poursuit en affirmant :
« Les répressions policières viennent servir une politique du chiffre […] Tant d’interpellations veulent dire qu’on a tant de casseurs et qu’on doit utiliser des armes types LBD de manière offensive et non pas défensive. »
Pour l’avocat, cette « politique du chiffre » permet d’entretenir une tension entourant le débat de la « loi visant à prévenir les violences lors des manifestations » — dite « loi anticasseurs » en cours à l’Assemblée nationale — et à sanctionner leurs auteurs. Il la décrit plutôt comme une loi « anti-manifestants ».
L’OPP également à l’écoute des forces de l’ordre
Pascal Gossiot, d’après les observations de l’OPP, distingue du reste des forces de l’ordre les compagnies républicaines de sécurité (CRS) et les gendarmes mobiles :
« On voit que ce sont des gens formés pour le maintien de l’ordre par leur calme et leur détermination. »
L’observatoire, dans une volonté de neutralité, a lancé un appel à témoignages de membres des forces de l’ordre. Il a pour but de mettre au jour les mécanismes sociologiques entourant les pratiques policières décrites. Daniel Welzer-Lang souligne :
« On a été remercié, y compris par certains policiers qui apprécient qu’on ait un autre avis sur ce qui se passe. On a des témoignages de policiers depuis le début, qui ne sont pas d’accord avec les consignes qu’on leur donne par exemple. »
Le rapport de l’OPP doit être rendu public à la fin du mois de mars. Selon l’état de la mobilisation des Gilets jaunes, ce dernier sera final ou intermédiaire.