Ce 30 janvier 2019, Latifa Ibn Ziaten, mère d’un militaire victime de Mohamed Merah en 2012, partage ses valeurs et ses idéaux avec une audience toulousaine dans les Anciennes Facultés de l’Université. Entre espoir, laïcité et jeunesse oubliée, la femme « dans la République » inspire et émeut.
La projection du film documentaire Latifa, une femme dans la République de Jarmila Buzkova commence sans la protagoniste de cette fin d’après-midi de janvier. Alors que la succession des images des interventions de Latifa Ibn Ziaten dans des écoles et des prisons se succèdent à l’écran, la mère de Imad Ibn Ziaten se remet d’un planning effréné à son hôtel. Des conférences comme celle-ci, la quinquagénaire en fait trois à quatre par semaine. Depuis l’assassinat de son fils il y a sept ans, elle arpente la France et le monde pour sa raison d’être : comprendre les jeunes comme l’assassin de son fils, perdus et « enfermés dans des ghettos ».
Mohamed Merah, une victime ?
Lorsqu’on l’interroge sur les quartiers en périphérie de Toulouse, Latifa Ibn Ziaten se remémore là où tout a démarré. En quête de réponses quelques semaines après la mort de son fils, elle se rend dans le quartier des Izards, au Nord de Toulouse. « Pourquoi autant de haine à 23 ans ? » s’interroge-t-elle alors. Dans la cité où vivait Mohamed Merah, un jeune lui explique : « Madame, j’ai 25 ans et je suis déjà mort ». Depuis, elle persuade et convainc sur tout le territoire en faveur de cette jeunesse écartée. Ce jeune homme des quartiers Nord de Toulouse, lui, finit par mourir en Irak. Latifa Ibn Ziaten regrette de ne pas avoir pu l’aider comme elle pourrait l’aider aujourd’hui. « Chaque jeune a sa chance (…) Il faut faire tomber les barrières, surtout à l’intérieur » ajoute la présidente de l’association IMAD pour la Jeunesse et pour la Paix.
Elle revient aussi sur ses interventions en prison, où elle échange avec des jeunes partis en Syrie, qui ont souffert de pauvreté, de fragilité et de ghetto fermé. Les détenus lui disent « la République nous a oubliés ». Latifa Ibn Ziaten répond:
« Pour ouvrir les ghettos, les jeunes doivent faire les efforts, les parents aussi, puis l’école, l’État, les mairies ont leur rôle à jouer. La responsabilité est partagée ».
Les parents, le moteur des jeunes
« C’est la mère qui aurait dû être jugée » affirme Latifa Ibn Ziaten en référence au procès de Mohamed Merah. Pour elle, ce sont les parents qui ont « fabriqué le monstre ». Les jeunes doivent, selon elle, avoir un moteur, un rêve, un espoir. Elle-même dit à ses enfants : « il faut que vous fassiez mieux que moi », même si cela signifie faire plus que les autres pour les enfants d’immigrés. Arrivée du Maroc à son mariage, Latifa Ibn Ziaten applique les valeurs inculquées par sa grand-mère, qui l’a éduquée après le décès de sa mère alors qu’elle n’avait que neuf ans.
« Il faut sourire pour aller vers l’autre et s’ouvrir. Il ne faut pas avoir peur de créer le lien. Mes voisins de l’époque en France m’ont ainsi aidé à apprendre le français, et même à faire du vélo ».
Dans son documentaire, elle dit devant une énième audience « quand on fonde une famille, on l’assume par tous les moyens ».
Laïcité et identité
Quand on lui demande son identité, Latifa Ibn Ziaten répond :
« Je suis d’origine marocaine, je suis de confession musulmane, je suis française et européenne. La France est une mixité, et il faut rester positif par rapport à ça. Heureusement la laïcité nous garantie de pratiquer librement notre religion ».
Au cours des 24 ans où Latifa Ibn Ziaten cuisinait dans une école, elle priait sur son temps de repas à la cave, à l’abris des regards. Surprise par l’époux de la directrice de l’époque, elle s’inquiète, avant que l’homme ne lui rétorque « Madame Ibn Ziaten, vous ne priez pas dans le bon sens ». L’ancienne employée municipale raconte l’anecdote le sourire aux lèvres : « on a vérifié avec une boussole, il avait raison ».
Un symbole à Toulouse
La promotion 2019 de Sciences Po Toulouse sera la promotion Latifa Ibn Ziaten. Les étudiants ont choisi cette personnalité emblématique et elle exprime sa fierté : « Je suis heureuse d’être marraine de tous ces élèves, surtout dans cette ville de Toulouse ».
Avec Eva Sannino
Crédit photo: Manon Pellieux