A l’initiative de six organisations dont Médecins sans frontières et Amnesty International, le festival Cinéma et Droits de l’Homme, pour sa deuxième édition à Toulouse du 12 au 31 janvier, propose douze documentaires et fictions. L’objectif est de sensibiliser le public aux différentes thématiques liées à la défense et la promotion des droits humains. C’est le cas du film L’ordre des choses projeté le 24 janvier 2019.
Pour tenter d’endiguer le flot des migrants africains et apaiser l’opinion publique choquée par les récits de naufrages et noyades, l’Union européenne n’hésite pas à collaborer avec des milices libyennes, peu soucieuses des droits de l’Homme. Elle leur délègue la mise en pratique des politiques de détention des candidats à l’émigration sur le sol africain. C’est ce que raconte le film L’ordre des choses, sorti le 7 mars 2017 en France et projeté le 24 janvier 2019 dans le cadre du festival toulousain Cinéma et Droits de l’Homme.
Pendant deux heures, le long-métrage invite le spectateur à plonger dans la vie d’un policier italien, Corrado Rinaldi. Il est envoyé par son gouvernement et l’Union européenne en Libye pour négocier des accords avec des chefs des milices et gardes côtes. Cela afin de capturer et détenir les migrants subsahariens dans des camps dignes de « goulags ».
Un film au cœur de l’actualité
Au milieu de ce mélodrame, le spectateur est parfois pris par des moments d’intenses émotions. Le sulfureux personnage de Luigi, traducteur italien-arabe, homme de réseaux, apporte des moments de détente avec son humour un peu décalé. Avec un rythme parfois saccadé, ce long métrage, vu comme un documentaire, demeure original dans sa forme et ne cesse de transporter le spectateur en passant par différentes formes d’émotions, le tenant en haleine. Il rentre aussi en forte résonance avec l’actualité. Quelques mois après, la chaîne américaine CNN diffuse un reportage montrant des migrants vendus comme esclaves par leurs geôliers.
Les migrants bénéficient rarement du statut d’asile et réussissent la traversée de la Méditerranée au péril de leur vie. Entre le rêve d’une vie meilleure et le calvaire dans des camps de détention, la plupart d’entre eux préfèrent continuer le chemin de l’exil. Femmes, enfants, hommes entassés les uns sur les autres dans des entrepôts sont pris dans un étau inqualifiable. Ils subissent rackets, tortures et humiliations.
Contradiction entre conscience et raison d’Etat
Rinaldi, policier presque sans état d’âme, au cours d’une visite dans les centres de rétention, s’émeut du sort d’une jeune femme somalienne. Swada vient de perdre son frère dans des conditions troubles. Une fois en Italie, Rinaldi entre en contact avec Swada et lui promet de faciliter son voyage pour la Finlande. Rinaldi, choisit la raison d’Etat contre sa conscience, renonçant à renverser cet « ordre des choses » qui donne son titre au film. Il abandonne cette candidate à l’exil à son triste sort, malgré ses promesses.
Un débat animé
A l’issue du film, une discussion-débat est animée par Médecins sans Frontières Libye. De retour de Libye, le docteur Maurice Negre, coordinateur du projet MSF en 2017, décrit une situation sanitaire très alarmante dans les camps de réfugiés. Il explique :
« Nous avons des centaines de cas de blessures physiques, de traumatismes et nous manquons de moyens »
Avant d’éclairer sur les difficultés d’accès à certains camps de détention tenus par des milices libyennes :
« Certaines milices et chefs de tribus, nous refusent l’accès aux centres de détentions par peur que nous dénoncions les conditions de détention à la communauté internationale »
Les réactions de l’Union européenne et de la communauté internationale face aux violations des droits de l’Homme dans les centres de détention sont très loin de satisfaire Maurice Negre. Il pointe du doigt le double discours européen :
« Il faut arrêter avec la bien-pensance, la vision des droits de l’homme qui n’opère pas de ce pays. L’Union européenne est parfaitement au courant de la situation, elle laisse faire et c’est une honte. »
Par Gassim Chérif