« La SNCF n’est pas à vendre ». 16 octobre 2013, manifestation Sud Rail devant le ministère des transports. ©Luc Legay

Univers-Cités est parti interroger Antoine*, syndicaliste à SUD Rail, au sujet de la réforme ferroviaire. Conditions de travail, avenir des cheminots et de leur statut, bataille de l’opinion publique… à l’aube du 15 mars, ce conducteur de TER nous a accordé un entretien fleuve.

Univers-Cités : Pouvez-vous brièvement nous raconter votre quotidien en tant que conducteur de train à la SNCF ?

Antoine : Cela fait bientôt 16 ans que je suis rentré à la SNCF en tant que conducteur de train. Je travaille en horaires déstructurés, contrairement aux horaires de bureau ou au travail en 3×8. Du jour au lendemain, je n’embauche ou ne débauche jamais à la même heure, je travaille les samedis, dimanches, et les jours fériés sur des semaines pouvant aller jusqu’à 6 jours.

C’est simple pour amener « la France qui se lève tôt » à son travail, nous nous levons encore plus tôt. Souvent je ne réveillonne pas avec ma famille, pour que d’autres puissent le faire sans prendre de risques avec leur voiture (pour ceux qui en ont).

U-C : En quinze ans de métier, avez-vous ressenti un changement dans vos conditions de travail ? Dans le confort des usagers ?

A : Oui, bien sûr. Quand je suis entré à la SNCF, je conduisais des trains de fret et de voyageurs, j’étais habilité à conduire sur 10 lignes différentes. Nous étions formés à être autonomes, à prendre des initiatives, à faire partie de la grande famille des cheminots. Aujourd’hui je ne conduis plus que des TER sur 3 lignes, et on m’a déjà dit à plusieurs reprise que je n’étais pas payé à réfléchir, ce qui est un comble vu nos responsabilités.

Pour le confort des usagers je dois dire qu’il y a du mieux au niveau matériel, dans le sens où les trains sont climatisés. Enfin quand cela fonctionne… Par contre avec la gestion à flux tendu (entendre limiter les stocks pour une optimisation fiscale), les trains sortent de plus en plus souvent de l’atelier avec la mention « en attente de pièces ». Lorsque c’est une ampoule cela passe encore. Mais quand c’est une pièce moteur, c’est autre chose, nous partons avec un moteur isolé (il y en a souvent plusieurs sur les autorails), nous avons moins de puissance, donc c’est plus difficile d’arriver à l’heure.

Autre chose, les TER sont souvent en sur-occupation car non soumis aux réservations, mais aussi parce que des pièces essentielles immobilisent les rames aux ateliers, ce qui provoque souvent des conditions de circulations assez limites au niveau confort et de sécurité.

U-C : Avec la réforme du ferroviaire, quel sera l’avenir des cheminots et de leur statut ?

A : Entre les propositions du rapport Spinetta et la volonté du gouvernement de casser du cheminot, ce n’est ni plus ni moins le même avenir que pour La Poste, France Télécom ou EDF. En 2017, nous comptions malheureusement plus de 50 suicides liés au travail. Tout cela se combine avec les six premières ordonnances déjà entrées en vigueur.

C’est un avenir sombre qui se dessine : transfert obligatoire du personnel, mutation géographique sinon licenciement, possibilité de licenciement économique. En gros, toutes les joies d’une politique libérale qui veut faire sauter la résistance historique des cheminots contre les politiques capitalistes.

De plus, le rapport Spinetta pointe du doigt la pertinence de garder en activité certaine « petites » lignes, ce qui menace un nombre difficilement calculable d’emplois. Pourquoi ? C’est simple, moins de lignes, moins besoin de personnel donc licenciements massifs.

U-C : Combien de petites lignes sont menacées dans la région Midi-Pyrénées ?

A : Sur la région Midi-Pyrénées c’est en gros 50% des lignes qui sont menacées. Le gouvernement a bon dos de dire qu’il ne veut pas fermer ces lignes dites non rentables, car le rapport prévoit de confier l’intégralité de l’entretien aux régions. Mais si Macron fait passer sa loi pour réduire les impôts locaux, avec quel argent les régions pourront elles faire les travaux ? Même sans cette réforme, les régions auraient du mal à assumer seules de tels coûts.

Le chemin de fer n’est pas rentable par essence car les coûts sont trop importants, il n’y a pas un seul pays où le gouvernement n’injecte pas d’argent dans le système ferroviaire. L’Allemagne est souvent l’exemple cité pour justifier l’injustifiable, pourtant, outre-Rhin, le gouvernement a par deux fois épongé la dette. L’Angleterre est aussi un exemple criant du danger de la libéralisation du rail avec d’un côté des accidents à répétition qui ont poussé le gouvernement à renationaliser le réseau.

Ce qui se prépare c’est la libéralisation des profits et la nationalisation des dépenses, car il ne faut pas se leurrer, l’arrivée d’entreprises privées ne coûtera pas moins aux contribuables. Ils ne feront pas mieux que la SNCF aujourd’hui.

Toulouse. Les cheminots dans le cortège du 22 mars 2018. © Florian Cauquil

U-C : Est-ce une bataille sur le terrain de l’opinion publique qu’a engagé le gouvernement ?

A : Cela fait bien longtemps que les différents gouvernements cherchent à monter l’opinion publique contre les cheminots, c’est une rengaine vieille comme le monde, mais qui a fait ses preuves trop souvent malheureusement. Cette fois, le gouvernement s’y est pris tôt avec les pannes à répétition comme à Montparnasse, où ils oublient de dire que c’est suite à des travaux effectués par le privé…

Il faut se rappeler qu’en 1995, grande date dans l’histoire de la lutte cheminote, l’opinion publique n’était pas non plus en faveur des cheminots, mais à force de discussions avec les usagers, la tendance a changé. Heureusement, aujourd’hui avec les réseaux sociaux nous avons la possibilité de diffuser de l’information sans passer par les médias tenus par les plus grosses fortunes et donc clairement orientés. Et avec les soucis de diffusion de TF1, c’est autant de personnes qui n’entendront pas JPP affabuler, cracher et mentir…

U-C : Les directions syndicales paraissaient sur le qui-vive suite au rapport Spinetta, mais pourtant, elles peinent à se mettre d’accord sur un agenda et une stratégie commune. Où en est-on ?

A : Pour le moment nous avons une date unitaire et c’est très rare, toutes les organisations syndicales appellent au rassemblement à Paris le 22 mars, même les syndicats dits réformistes comme la CFDT et l’UNSA. Et même si nombre d’entre nous voient déjà dans les déclarations de Berger (secrétaire général de la CFDT, ndlr) l’ouverture d’une porte de sortie, les cheminots savent que seule une action de groupe fonctionnera.

Alors, nous allons œuvrer à faire venir les travailleurs et travailleuses du rail en assemblé générale pour que ce soit eux qui décident des suites à donner et non des ronds de cuir qui n’ont jamais travaillé. Le 15 mars se tiendra une interfédérale et c’est sans doute là que les masques tomberont.

U-C : Quelles sont les premières revendications de Sud Rail dans cette bataille du rail qui s’annonce ?

A : SUD Rail n’est en rien opposé à une remise à plat du dossier de la SNCF, voire même à faire des changements. Imaginez, nous avons 51% de cadres et maîtrise pour 49% d’exécution. Cela ne peut fonctionner ainsi, et d’ailleurs cela ne fonctionne pas. Nous demandons que le statut de cheminot soit étendu à tous les travailleurs du rail.

L’état étant responsable de la dette de l’EPIC réseau (l’Établissement Public Industriel et Commercial SNCF Réseau est l’une des trois branches de la SNCF), il doit la reprendre à son compte et l’effacer. Nous demandons également qu’une réelle réflexion soit engagée sur la situation du fret en France, qui malgré l’ouverture à la concurrence a vu le nombre d’opérateurs privés diminuer aussi drastiquement que le nombre de tonnes kilomètres. L’ouverture à la concurrence n’est pas une réponse aux maux du ferroviaire. Il faut une véritable politique de relance du fret en France.

Nous souhaitons que le ferroviaire français reste dans un système intégré et nationalisé afin d’éviter les sous-investissement générateurs d’accidents graves, de dumping social, et surtout que ce soit les actionnaires et les banques qui se gavent sur le dos des employés et des contribuables.

U-C : Peut-on imaginer un mouvement semblable à celui de 1995 ?

A : J’entends parler de 1995 depuis que je suis rentré à la SNCF, et j’ai participé à de nombreuses grèves. Aujourd’hui, je n’ai jamais autant été persuadé que nous pouvions changer le cap d’un gouvernement. Se sentant si fort, il ose attaquer tous les secteurs. Cela ne peut que lui être fatal. Il ne faut pas oublier qu’en 1995, les secteurs en grève ont dépassé les syndicats de l’époque. Aujourd’hui nous travaillons en ce sens, et j’ai foi en le mouvement.

*Prénom d’emprunt, Antoine étant soumis au droit de réserve.