Depuis sa parution, leur dernier livre n’a cessé de faire parler de lui. Rencontre avec les deux journalistes du Monde, auteurs de Un président ne devrait pas dire ça…

A peine les voici assis sur l’estrade que tout l’amphithéâtre de Sciences Po Toulouse, plus plein qu’il n’a probablement jamais été, se mure dans un silence quasi monacal. A peine entend-on quelques murmures, de ceux qui se demandent « lequel est Davet, lequel est Lhomme ? ». « Celui-là, en rouge, c’est Lhomme », souffle alors une petite voix.

Journaliste « depuis trop longtemps »

Gérard Davet, chemise saumon et blazer anthracite, tapote le micro. Avant d’évoquer brièvement son parcours, lui qui est à son goût « journaliste depuis trop longtemps ».

Tout commence en 1986, date à laquelle il fait ses premières armes au Parisien. C’est là-bas qu’il rencontrera Fabrice Lhomme. Une « histoire d’amitié qui dure » depuis, malgré les quelques « détours » de ce dernier, par France Soir, L’Express, L’Equipe Magazine, puis Mediapart.

Ce n’est finalement qu’en 2011 que le duo se reforme, au Monde. Très vite, les enquêtes se succèdent, les livres aussi. Six au total. Le plus vendu d’entre eux, Sarko m’a tuer (Stock, 2011), s’écoule à plus de 80 000 exemplaires. Un succès considérable, qui ne tarit pas pour autant leur soif d’investigation. Entre deux révélations sur les affaires Bettencourt, Karachi, HSBC, Kerviel ou Bygmalion, Davet et Lhomme trouvent le temps de préparer dans l’ombre un ouvrage sur un tout autre personnage politique. Il s’agira de François Hollande, même si celui-ci n’est alors pas encore élu Président de la République. Les journalistes prendront, depuis le début de la campagne et jusqu’à la presque-fin de son quinquennat, un rendez-vous par mois avec lui. Avec leurs trois fidèles magnétos, ils enregistrent ainsi une centaine d’heures d’interviews, durant lesquelles ils s’efforcent « de [le] convaincre de donner ce que spontanément, il ne donnerait pas ».

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Pour les auteurs, pourtant bien rodés à la tâche, l’enquête se révèle être un véritable défi. Car, « à priori, ça ne ressemble pas à ce qu’[ils font] d’habitude », confie Fabrice Lhomme. « Là ce qui est différent, c’est qu’on n’a pas enquêté sur une matière judiciaire, ajoute-t-il. On a investigué dans la tête d’un homme ». Pour autant, le journaliste en chemise rouge assure ne pas avoir renié ses principes journalistiques. « Ce n’est pas un énième livre d’entretiens et confidences, dit-il à ce propos, ça ne se résume pas à ça. Il y a aussi nos propres analyses, des documents, d’autres témoignages, comme le premier et probablement dernier que nous aurons de Nicolas Sarkozy. Ce n’est pas parce que c’est un Président de la République que ça doit fonctionner autrement ».

Désacraliser la fonction présidentielle

Parce qu’il veut « montrer la vraie nature du pouvoir, derrière le rideau », le duo s’attire les foudres de quelques sceptiques. Au fond de l’amphithéâtre, une voix masculine les accuse ainsi d’avoir « tué la Vème République », arguant qu’ils auraient volontairement entaché l’image d’une personne publique. Le sourire au bord des lèvres, Fabrice Lhomme répond aussitôt que « ce n’est pas un livre qui désacralise la politique, mais la fonction présidentielle ». « Et je pense que la politique a à y gagner, il faut que les français cessent de voir [ceux qui les dirigent] comme des ectoplasmes qui n’ont pas de chair », plaisante-t-il.

A contre-courant d’un journalisme politique qu’il juge parfois « trop dans l’autocensure », Gérard Davet raconte quant à lui qu’il était temps de « briser les tabous autour de la politique française ».

« On nous dit irresponsables, reprend aussitôt son acolyte, mais au contraire, on a été responsables. On s’est simplement posé la question ‘est-ce que les français sont en droit de savoir ?’. On pense que oui ».

Dans Un Président ne devrait pas dire ça… (Stock, 2016), le « droit de savoir » est en effet poussé à son paroxysme. Jusqu’à entrer dans les moindres recoins de la vie privée et sentimentale du Président de la République. On trouve ainsi, savamment distillées au fil des pages, quelques confessions de Valérie Trierweiler, et un retour sur la relation entretenue par François Hollande avec la comédienne Julie Gayet, révélée en janvier 2014 dernier en Une du magazine people Closer. « Ça vous place au même niveau que Karine Le Marchand dans Une Ambition Intime », s’exclame à ce propos un étudiant, dans la bouche de qui la comparaison ne sonne pas tout à fait comme un compliment. Ce dont se défend aussitôt Fabrice Lhomme, pour qui l’intérêt de ces extraits ne serait plus à prouver : « un président qui va fricoter à l’insu de son équipe sans se soucier de sa sécurité, avec une maîtresse dont on ne sait pas si elle est prise en charge ou non par la collectivité, et dans un appartement loué par un proche de la mafia corse, si ça ce n’est pas un sujet… On est embarrassés parce que ce n’est pas notre came, de parler de vie privée, mais c’est impossible de faire sans. Et puis, ce qu’il se passe dans la tête d’une personne, ça a une influence sur son travail ». « La vérité, c’est que la vie privée a un impact sur la vie publique », conclut Gérard Davet.

« Se mettre un peu dans la tête de François Hollande »

Avec ce livre dont la date de parution (antérieure à la fin du quinquennat, et donc, à la campagne présidentielle de 2017, à laquelle François Hollande pourrait candidater) n’a jamais été un secret, beaucoup s’interrogent sur l’intérêt, pour l’homme politique, d’avoir accepté le projet. Pour Fabrice Lhomme, il suffirait simplement pour comprendre ceci de « se mettre un peu dans la tête de François Hollande, même si ce n’est pas toujours facile ».

« C’est quelqu’un de très sûr de lui, qui a une assez haute opinion de lui-même, décrit quant à lui Gérard Davet. Il espérait sans doute que cela puisse lui servir de livre-bilan, dont il puisse se vanter, complète son partenaire d’enquêtes. Et puis il y avait sans doute de sa part un peu de naïveté, due au fait que les gens nous pensaient en général plutôt antisarkozystes. Du coup, il devait penser que l’on ferait le tri. Or c’est faux ».

« Se griller », puis « se réinventer »

Largement repris par les médias de tous bords politiques, le contenu des 900 et quelques pages du livre aura valu à Davet et Lhomme un certain nombre de compliments. Certains, seraient venus des plus proches collaborateurs du Présidents, ravis du résultat. Quant à François Hollande, il n’a, depuis la parution, pas recontacté les deux journalistes d’investigation. « Je ne suis pas sûr qu’il veuille encore nous recevoir à l’Elysée », admet Gérard Davet. Une nouvelle que lui et son acolyte prennent avec le sourire. Pour eux, qui ne se cachent pas d’être plutôt des habitués des « articles négatifs », « se griller » dans tel ou tel milieu, ou avec des personnalités, n’a plus rien d’étonnant. Cela les obligerait, selon leurs dires, à « se réinventer constamment ».

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« C’est le côté positif des choses », s’amuse Gérard Davet, avant de rappeler que leurs enquêtes les mènent parfois dans des situations bien plus délicates… Mis sur écoute, cambriolés, photographiés à leur insu, suivis, menacés de morts, les journalistes du Monde ont ainsi du vivre deux ans sous protection policière. En dépit du danger, tous deux semblent ne finalement craindre qu’une chose :  que leurs sources, effrayées, décident tout à coup de ne plus parler…