Univers-Cités a rencontré le réalisateur arménien qui présente un documentaire sur l’histoire de sa famille durant le génocide de 1915.

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Hakob Melkonyan est né en Arménie, et vit à Limoges depuis 2011. Dans le film l’Arbre, il retrace l’histoire de sa grand-mère, Azniv Martirossian. C’était une fillette en 1915, et la seule personne de sa famille à réchapper de l’horreur du génocide perpétré par les Turcs ottomans à l’encontre des Arméniens, qui a fait plus d’un million deux cent mille morts.

La jeune Azniv doit quitter précipitamment son village et se cacher dans la ville de Van. Elle entame alors un long périple qui l’amènera jusqu’au désert de Syrie, une déportation massive dont elle sera une des seules à réchapper.

Le film, produit par la société toulousaine Cinérgie Production, a aussi bénéficié de financements de la région Midi-Pyrénées pour permettre le tournage en Anatolie, ancienne Arménie occidentale, aujourd’hui turque. Univers-Cités s’est rendu à l’avant première nationale à l’ESAV, dont d’anciens élèves sont au générique.

Comment est venue l’envie de réaliser ce film ?

Le sujet du génocide est très présent chez les familles arméniennes, car souvent un grand-père ou une grand-mère en sont des survivants. C’est pareil pour moi. La mère de ma mère avait 9 ans en 1915. Au début elle n’en parlait pas, puis, en 2001, pendant deux ou trois semaines, je lui ai demandé de me raconter. Elle m’a tout expliqué en détail et j’ai écrit. A l’époque, je pensais faire un film sur le génocide mais pas sur l’histoire de ma grand-mère, parce que c’était très intime, très psychologique, c’était compliqué pour moi. Mais mon producteur m’a encouragé et cette histoire, j’ai eu envie de la transmettre. J’ai du faire des choix car c’était très long donc j’ai malheureusement enlevé des choses aussi importantes.

Un des premiers plans du film vous montre dans l’avion arrivant en Arménie et on comprend que c’est aussi pour vous une sorte de voyage introspectif.

Oui. J’ai réalisé le rêve de ma grand-mère, je suis allé voir sa maison, qu’elle n’a jamais revue. C’était le but de ce film, parcourir le chemin que ma grand-mère a suivi durant sa déportation. Dans la version longue on verra presque tous les lieux par où elle est passé. Et moi aussi j’y étais, j’ai interviewé les gens, Turcs, Kurdes, les Arméniens si je trouvais. Je voulais voir de mes propres yeux les lieux dont ma grand-mère parlait. Quand je suis arrivé là bas, j’ai bien compris la réalité de la situation. J’ai rencontré des gens qui refusaient de dire la réalité du génocide, des Turcs qui ne le reconnaissaient pas…

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Comment s’est monté ce projet ?

J’ai rencontré Pierre [Mathiote, le producteur, ndlr] en avril 2013 à France 3. Nous avons fait un film sur la maladie d’Alzheimer. Je lui ai proposé d’autres scenarii et il m’a poussé à réaliser le film sur le génocide. Nous sommes maintenant en train de produire un autre film sur le conflit au Haut-Karabagh [enclave arménienne en Azerbaïdjan, ndlr].

Comment s’est passé le tournage en Arménie?

Je suis né et j’ai grandi en Arménie, j’avais des collègues là bas, des contacts. Le plus dur a été de trouver les derniers survivants, que l’on a interrogé. Certains d’entre eux sont morts aujourd’hui, on peut dire que j’ai recueilli leurs dernières paroles.

Que signifie cette métaphore de l’arbre, qui donne son titre au film ?

L’arbre, c’est symbolique. Chez nous, les jeunes accrochent des bouts de tissus sur des arbres pour faire un vœu. Dans certaines régions, les gens mettent des photos, des mots, des choses qui appartiennent à leurs ancêtres, c’est aussi un arbre de mémoire. Une fois par an, les arméniens par cette tradition entretiennent un lien avec leurs aïeux.

Heureusement, j’ai trouvé un tel arbre en Turquie. J’ai voulu montrer que c’était une tradition arménienne qui existait avant. Dans le film, l’arbre représente l’Arménie, les photos sont les victimes du génocide, et avec la tempête qui emporte tout, c’est l’image de tous ceux qui sont morts. Les quelques uns restent, comme ma grand-mère : cette mise en scène représente la population qui continue à transmettre. C’est aussi un pont avec la Turquie puisque les habitants turcs du village perpétuent cette tradition.

A la fin du film, l’avocat qui intervient parle de logique de déni de la part de l’État turc, de nécessaire reconnaissance juridique et ainsi de l’importance d’avoir des témoignages de survivants, est-ce que c’est aussi dans cette démarche que vous avez pensé le film ?

Bien sûr. Quand j’ai commencé à faire ce film, moi aussi j’étais un peu perdu, je voulais comprendre. On a déjà l’histoire, quelque chose qui s’est passé, d’horrible. Qu’est-ce qu’on doit faire avec ? Les politiciens disent une chose, les historiens d’autres, personne n’arrive à avancer de son côté. Dans le film, je voulais avoir un historien, un avocat, pour comprendre au niveau juridique : est-ce que on peut faire quelque chose ? C’est un crime, des gens ont été tués. On ne peut plus dire que c’est une question d’histoire, que les historiens doivent décider de ce qui s’est passé. On a des victimes qui racontent ce qui leur est arrivé, ce sont comme des témoins dans un tribunal.

L’historien nous explique ce qui peut être fait dans le futur. Il ne reste presque plus de survivants… Il parle de condamnation symbolique et de réparations, comme avec le procès d’Eichmann. Chacun dans son métier, on peut avancer. Moi, en tant que réalisateur, je donne ces voix à entendre.

Vous pouvez voir la bande-annonce du film ici.