Portrait. Depuis cinq ans, Frédéric est l’un des 160 éboueurs employés à la mairie de Toulouse. Au quotidien, ce « voltigeur » du service des ordures ménagères veille à la propreté de la ville.

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Cinq heures moins cinq, le soleil n’est pas encore levé sur la ville rose. Frédéric*, habillé de la tenue réglementaire jaune fluo, monte à l’arrière de son camion. A trente-neuf ans, il est « voltigeur » au service des ordures ménagères : en clair, il est éboueur remplaçant à la mairie de Toulouse. « Je n’ai pas vraiment choisi ce métier, c’est plutôt le métier qui m’a choisi », raconte-t-il, un sourire au coin des lèvres, dans un bureau de la permanence syndicale CGT. Il y a cinq ans, l’ancien gardien de déchèterie s’inscrit sur la liste pour devenir éboueur. « Ce qui m’attirait, c’est la solidarité qui règne au sein des éboueurs, mais aussi le travail de nuit. » Un choix, malgré tout. Pour les éboueurs, les horaires sont souples : quand il n’y a plus rien à faire, la journée est finie. Un « fini-parti » qui lui permettait de passer du temps avec ses enfants.

Ce « fini-parti » si cher aux éboueurs, n’est pourtant que la partie visible et enjolivée d’un métier difficile. Par tous les temps, les éboueurs sont confrontés à la saleté et aux dangers de la voie publique. « Il faut faire ce métier pour vraiment réaliser à quel point c’est dur », témoigne Frédéric. « On ne sait jamais ce qu’il y a dans les conteneurs, surtout lorsqu’on collecte dans les zones industrielles. Moi ce qui me fait peur, c’est ce risque d’exposition ». Amiante, poussières toxiques, verres cassés, les risques sont multiples pour les éboueurs.

Peu reconnue légalement, cette pénibilité pèse sur le moral des hommes. Syndiqué à la CGT, Frédéric ne manque pas de le souligner : « L’espérance de vie des éboueurs est de soixante-seize ans. C’est la deuxième plus petite espérance de vie dans le monde du travail. Mais cette pénibilité n’est pas reconnue par l’Etat. Aujourd’hui, on peut partir au bout de dix-sept ans derrière un camion… avec une retraite de 500 euros. »

Utilité publique

Un métier également peu reconnu par les usagers : mépris ou omission, les éboueurs sont invisibles. Armée d’hommes en jaune œuvrant pour la propreté des villes, ils se fondent dans le paysage urbain. « Nous sommes un peu des travailleurs de l’ombre. Quand on travaille, les gens se lèvent à peine. On nous voit très peu, sauf quand on bloque une rue et que les gens klaxonnent parce qu’ils sont pressés. » Tour à tour accusés d’être privilégiés ou fainéants, Frédéric l’assure, les éboueurs sont mal considérés. « Il n’y a pourtant pas beaucoup de monde qui veut faire ce travail », ajoute-t-il ironique et las.

Pourtant, les éboueurs servent l’utilité publique. Il faut souvent une grève pour comprendre l’ampleur de leur travail, constater leur absence pour s’apercevoir de leur présence furtive au quotidien. « Sans être valorisante, notre profession est importante », se rassure Frédéric. « On se rend compte que lorsque les déchets ne sont pas ramassés, ça devient vite dramatique. Même si on est le dernier maillon de la chaine, on sert à quelque chose. »

Décalage horaire

Le « fini-parti », si avantageux soit-il, pèse aussi sur la vie sociale de ces travailleurs invisibles. Soudés le temps du service, chaque équipe se sépare dès le travail achevé et chacun repart de son côté. Avec ses horaires décalées, Frédéric accuse le coup : « Lorsque vous travaillez tôt le matin et pendant quatre à six heures de marathon, vous passez votre journée à récupérer. Vous n’avez aucune vie sociale malgré les après-midis libres, car les gens travaillent. Et le soir, il faut se coucher tôt. »

Une situation pesante qui pousse beaucoup d’éboueurs à changer de métier. « Je suis admiratif des gens qui font trente ou quarante ans de carrière, qui arrivent à travailler jusqu’à la retraite. Ils ont un mental d’acier », s’exclame Frédéric. « Il n’y en a pas beaucoup. Il y a un très grand turnover dans notre métier, les gens s’usent. » Lui-même a souvent pensé à partir, et ce depuis qu’il a commencé. Il a même passé, avec succès, des concours internes, pour changer de poste. « Cela fait cinq ans que je suis éboueur, quatre ans que je cherche autre chose. Si je ne pars pas maintenant, c’est qu’il y a beaucoup de personne en reclassement et pas de travail. »

Respect des riverains

Plein de contradictions, Frédéric semble malgré tout attaché à son métier. Très respectueux des usagers, il regrette la négligence de certains éboueurs, qui ternirait l’image de la profession : « Je peux comprendre la colère des riverains quand le travail est mal fait. Moi je ramasse tout ce qui tombe du camion, par respect, ne serait-ce que pour ceux qui balayent. Mais toutes les équipes ne le font pas. »

Sans hésiter, il affirme aussi qu’il ne regrette pas son choix. « Pour ma famille, je le referais. Même si j’en paye le prix. » Où sera-t-il dans dix ans, il l’ignore encore. « Je serai peut-être toujours éboueur, mais chauffeur, avec un permis poids-lourd. Mes enfants auront grandi, ils auront moins besoin de moi, alors pourquoi ne pas retourner au balai. Ou alors monter une micro entreprise et quitter la mairie. Honnêtement, je ne sais pas. » En attendant, il restera quelques temps encore fonctionnaire de la mairie de Toulouse. Dans quelques mois, fini la voltige : il intégrera une nouvelle équipe, fixe cette fois.

* Le prénom a été modifié