Entre la sortie de son dernier roman La vie de ma mère et l’adaptation au cinéma de son livre Ma part de Gaulois, Magyd Cherfi est sur tous les fronts. De quoi rappeler au membre fondateur du groupe Zebda ses années de galères et de joies, toujours marquées par cette dualité entre son identité française et ses origines algériennes.
Il y a 40 ans, les Toulousains ont pu croiser le jeune Magyd attablé à la terrasse du Florida, le mythique bar de la Place du Capitole, avec le journal Libération dans une main et un café dans l’autre. Aujourd’hui, Magyd Cherfi n’est plus ce « jeune rebeu » qui débarque en ville et qui se dit : « Ah merde je suis en France ». Les cheveux ont tourné au gris blanc. Le café s’est transformé en chocolat chaud. Il vient de sortir d’une conférence de presse à l’hôtel de l’Opéra du Capitole et s’apprête à se rendre au cinéma l’ABC pour présenter le film Ma part de Gaulois avec le réalisateur Malik Chibane, inspiré de son roman sorti en 2016 aux éditions Actes Sud. « J’avais secrètement pensé à réaliser ce film, mais c’est un immense travail » confie l’artiste d’un sourire en coin un brin malicieux.
Le livre, comme le film, parle de la jeunesse d’un jeune homme issu de l’immigration algérienne. Sa mère le pousse à s’inscrire dans un lycée général avec comme objectif d’obtenir le sésame ultime : le baccalauréat. « Au collège, j’étais au quartier, avec tous les potes. Il fallait lutter pour ne pas se faire expulser, les arabes diminuaient de plus en plus ». L’arrivée au lycée est un choc à tous les niveaux pour le jeune Magyd qui ne connait presque que son quartier des Izards, au nord de Toulouse. Les Clash, Sex Pistols, Brel, Brassens et autres débarquent dans la vie de cet assoiffé de savoir. « Pour nous le rock c’était Joe Dassin avec une guitare » rigole celui qui a créé le groupe Zebda.
Sa part de Gaulois
Le groupe toulousain phénomène des années 90 a fait la reconnaissance de Magyd Cherfi. En s’installant juste avant notre entretien, une femme passe et entonne devant lui « on a tombé la chemise, tombez-la ». L’artiste l’interpelle en regardant la fille de cette admiratrice et lui dit qu’elle ne doit surement pas connaitre. Celle-ci de répondre : « Je l’éduque pour qu’elle écoute ça ». « On voulait parler aux jeunes de banlieue avec Zebda, mais on était trop naïf », enchaîne celui qui habite désormais au nord du quartier des Minimes, à égale distance entre les Izards et la place du Capitole. « Je suis conscient que je parle aux blancs. En accédant aux livres, aux conférences, à l’université, on devient blanc ».
Il y a Magyd « le Gaulois » et Magyd « le Sarrasin ». Il en a fait deux livres qui se répondent. « Cette dualité est comme un combat de boxe. Parfois l’un frappe plus fort que l’autre. C’est toujours en mouvement en fonction de l’époque. Mais je n’en souffre pas » avoue l’artiste multifacettes. Lui, plus que quiconque incarne l’intégration d’un jeune issu de l’immigration algérienne, de parents kabyle, devenu un amoureux et fervent défenseur de la République. « Mais attention je ne vais pas faire allégeance. On ne nous accepte toujours pas. Si on pouvait partir ils seraient bien heureux » fustige-t-il en levant les bras.
Sa part de Sarrasin
Après 61 ans d’histoire d’amour avec Toulouse, il a vu les quartiers changer et se gentrifier. Des bars, des scènes musicales, des marchés, il les a chanté et glorifié dans des chansons, Matabiau, Toulouse, aussi emblématiques qu’iconiques. Mais aucun lieu n’est pour lui un point d’attache. Dans les années Zebda, il reconnait se rendre souvent dans le quartier Arnaud-Bernard. Mais 30 ans après, les couscous et thé à la menthe ont déserté les lieux. « C’est un nettoyage d’arabe ici. C’est triste. Il aurait fallu un entre-deux. Il y a une volonté d’exclure les immigrés de façon permanente ».
Magyd Cherfi publie de temps en temps des tribunes pour Libération. Récemment, il en a fait une particulièrement discutée sur le conflit Israélo-Palestinien où il assume pleurer pour tous les morts du conflit. « Je suis né Palestinien, mon père me le rabâchait à longueur de journées. Israël a droit à un Etat. Et la Palestine aussi » affirme l’artiste. Une nouvelle dualité de plus pour lui, le chanteur et romancier, le français et l’algérien, le jeune Magyd des Izards et le vieux Magyd « qui passe à La Grande Librairie sur France 5 mercredi soir ». Une chose ne change pas : il sera toujours assis à la terrasse du Florida à regarder les passants admirer le Capitole.