Des camps d’entraînement d’Al Qaïda aux prisons françaises en passant par Guantanamo, Mourad Benchellali raconte, et prévient les jeunes.

J’avais 19 ans quand je suis parti pour l’Afghanistan”. C’est en juin 2001. A l’époque, c’était un pays assez fermé : “les talibans, ça me faisait peur”. Mais son frère l’encourage : ce sera bien pour sa religion, c’est un beau pays. “C’est difficile à croire mais avant le 11 septembre, beaucoup allaient en Afghanistan, c’était très facile d’y aller”. A l’époque, Mourad n’a jamais voyagé, n’est quasiment jamais sorti de son quartier. Pour lui, “c’est cette prise de risque qui rend la chose excitante”. D’autant plus que “c’est un contexte particulier, on est avant le 11 septembre : Ben Laden, Al Qaïda, personne en a entendu parler”.

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Arrivé en Afghanistan, Mourad découvre une réalité qu’il n’imaginait pas. “Quand je suis arrivé, on m’a dit on va t’emmener dans un endroit où tous les jeunes vont, ça va te faire du bien”. Il est embrigadé par Al Qaïda et emmené au camp secret de Kandahar, un camp d’entraînement dans le désert où il sera contraint de passer 60 jours. “C’est très rapide, vous n’avez pas le temps de réfléchir”. Maniement des armes et enseignement religieux, voilà le visage de l’Afghanistan que va découvrir Mourad Benchellali. Les prêcheurs se succèdent dans le camp. Parmi eux, un certain Oussama ben Laden dira que les attentats suicide sont légitimes, faisant partie de la lutte armée. Même si à l’époque Mourad ne comprend pas l’arabe et n’a jamais entendu le nom d’Oussama ben Laden, “ça choque parce que je suis près, je suis dedans”.

« Le piège se referme« 

Le 11 septembre frappe. “On ne peut plus fuir l’Afghanistan”. Après avoir quitté le camp à la fin de la période de 60 jours, Mourad parvient à se rendre à Jalalabad, tenue par des talibans. Mi-novembre, les américains bombardent la ville et les talibans s’en vont. “J’ai découvert la réalité de ces gens qu’on voit comme des grands guerriers : ils n’ont pas tiré une seule balle, ils se sont sauvés et nous ont laissé là”.

En fuyant par les montagnes grâce aux services d’un guide, Mourad réussi “par miracle” à se rendre dans un village Pakistan. Il a son passeport sur lui et veut rentrer en France. “Vous pouvez nous emmener à Islamabad ?” Pas de problème, on lui répond. C’est un piège. Il sera enfermé dans une mosquée, encagoulé, et livré à l’armée pakistanaise dont il subira les mauvais traitements pendant trois semaines.

Je suis content quand je vois les américains, je me dis ça y est, enfin ! Voilà des gens civilisés”. Loin de penser qu’il pouvait être accusé d’autre chose que d’avoir franchi une frontière illégalement, Mourad est pourtant renvoyé en Afghanistan au camp de Kandahar, que les américains ont transformé en base militaire. Deux semaines plus tard, il est transféré à Guantanamo. “Les cages, les interrogatoires, l’attente. Guantanamo, c’est ça”. Il y passera deux ans et demi. Pourquoi ? Selon Mourad, “les américains n’avaient pas de preuves, à l’entraînement j’ai tiré quinze balles avec une kalachnikov”. Du reste, on ne semble rien pouvoir lui reprocher.

Le jour de sa libération, “j’ai du mal à y croire jusqu’à ce que je rentre dans l’avion”. Mais même s’il retrouve la France, Mourad ne retrouve pas la liberté. Arrivé à l’aéroport, “un policier en civil me menotte et me dit que je suis mis en garde à vue”. Il se retrouve en détention provisoire. Deux ans plus tard, “enfin libre, c’est toute une nouvelle histoire qui commence”.

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« Essayer de trouver dans mon départ les raisons de tous les départs ce serait une erreur »


« Mon histoire, c’est mon histoire ». Face à une hausse sans précédent des départs vers la Syrie pour combattre aux côtés de l’Etat Islamique, le risque est grand de tomber dans des généralités. Après s’être tu, Mourad Benchallali prend la parole pour témoigner. Pour tenter de dissuader les candidats au Djihad en Syrie. Ni donneur de leçon et sans « recette magique » pour empêcher ce phénomène, il se contente de raconter humblement son voyage vers l’enfer. « Vous pensez tout comprendre du conflit mais vous n’y connaissez rien. Vous pensez faire le bien mais vous allez commettre des atrocités ». Voilà ce qu’il dit à tous ces jeunes.
«Je leur dis ce que j’ai découvert, la réalité à laquelle j’ai été confronté. Je leur explique que, moi aussi, comme eux, j’ai pu idéaliser…j’ai pu avoir cette vision manichéenne ». Dans le cas de la Syrie, les jeunes sont confrontés à beaucoup d’informations, « tellement d’informations qu’ils n’ont plus le temps de réfléchir » analyse-t-il.
« On est embarqué dans une machine », rappelle Mourad. Et l’embrigadement via Facebook est parfaitement maitrisée par ces réseaux. Des réseaux si bien ficelés qu’ils ont vu leur recru augmenter de + 130% en 2014. 


«Il n’y a jamais qu’une seule raison qui vous pousse à partir». Comment expliquer un tel engouement pour le djihadisme ? Beaucoup de questions qui demeurent sans réponses.

Pour Mourad, « un gamin qui décide de partir aujourd’hui en Syrie, c’est qu’il n’a pas réussi à concevoir son avenir ici » avant d’ajouter « qu’il n’y a jamais qu’une seule raison qui vous pousse à partir ». Une problématique, qui n’est, selon lui, pas que « sociale ». Le cas des deux toulousains de 15 ans, partis début janvier en est la preuve. Bon élève, délégué de classe et sans histoire, il a pourtant été récupéré en Turquie, avec son autre camarade, prêt à aller rejoindre les rangs de Daesh. Un exemple parmi tant d’autres qui atteste du caractère démentiel de ce phénomène.
« Je ne suis pas prescripteur, je témoigne quand on me le demande » 
Absence du paysage médiatique français.
« Je reste un mec de Guantanamo donc un terroriste » explique-t-il. Une image qu’il n’a pas chez nos voisins suisses et belges.
« En France, on a pas cette culture du témoignage », déplore-t-il. Et quand il est invité dans les lycées, le rectorat semble faire bloc. Une réaction étonnante quand on souhaite lutter contre cet embrigadement. Reste à voir si les derniers évènements et les chiffres alarmants feront changer les mentalités.


Clara Bordat et Amélie Phillipson.