Détrompez-vous, M. Moudenc n’est pas l’ennemi de la culture. Mieux : il l’adore et il le prouve tous les jours. Vous avez tout faux si vous pensez le contraire. Les voix qui s’élèvent ici et là pour dénoncer sa politique sont simplement passées à côté de la quintessence de son projet. Il faut savoir lire entre les lignes, interpréter les signes. La vaste vision culturelle de la nouvelle municipalité s’interprète comme une devinette. À travers les petites phrases et les mots glissés dans la presse et en conseil municipal, une utopie se dessine peu à peu. La Toulouse rêvée de M. Moudenc.

Certes, c’en est fini de la Cité de la Danse. Le maire l’a déclaré de but en blanc : « Ici, la danse n’est plus d’actualité ». Le projet était lancé, pesé, engagé. Une réflexion avait été menée sur le thème du corps : le lien entre les soins et la danse, entre le site de La Grave et sa réhabilitation par l’art. Las! Qui s’intéresse à la danse de toute façon ?

Certes, la Maison de l’Image de La Reynerie a fini à la poubelle. Selon la municipalité, un projet « trop flou » de toute manière. Menacé aussi le déménagement du collectif Mix’Art dans le nouveau quartier de la Cartoucherie. Mais qui se soucie vraiment d’un groupement d’artistes aussi innovants et originaux ? Trop flou aussi, probablement. Menacée de même l’installation des Machines de Nantes à Toulouse : le « Minotaure » est terminé mais on ne le verra pas de sitôt déambuler dans les rues de la ville rose. La municipalité se tâte, la question est brûlante : la couleur cuir de la bête sera-elle raccord avec les briques de Toulouse ? Et puis 2,8 millions d’euros ! Ne vaudrait-il pas mieux construire deux rond-points à la place ?

C’est que M. Moudenc est avant tout un pragmatique. Sa Toulouse, il la bâtira sur des bases saines. La clé d’une bonne politique municipale tient tout entière dans une opération mathématique : soustraire les dépenses et rééquilibrer l’équation. Grâce au « cost-killing », gérer une ville devient simple comme un calcul. Et tant pis pour les festivals, événements et projets qui en feront les frais.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : l’équilibre budgétaire n’est pas le seul but de M. Moudenc. Il y a des petites actions simples qui ne coûtent rien et en disent long. On peut par exemple envoyer une commission de sécurité à La Chapelle, sanctuaire de la culture participative, symbole et lieu de rassemblement toulousain. Une simple procédure à l’allure de menace. On peut aussi déprogrammer du jour au lendemain la moitié des groupes prévus pour la fête de la musique : pour la plupart des nouveaux talents et des jeunes. La municipalité leur a préféré un « style musical plus général et plus familial ». Des valeurs sûres en ces temps difficiles.

On peut en revanche dépenser sans compter quand il s’agit de valoriser la bonne culture, celle de la petite élite des grands de Toulouse (comprenez : ceux qui ont du goût). Le grand projet de M. Moudenc, son Parthénon à lui, c’est la prison Saint-Michel. M. Moudenc a une idée grandiose : creuser un pharaonique auditorium de 25m de profondeur sous les fondations du bâtiment. Il faudra surmonter des problèmes techniques, dépasser des contraintes urbaines et géologiques (la zone est marécageuse) et l’ensemble risque fort de coûter une fortune. Mais que ne ferait-on pas par amour de la vraie, grande musique? Autre chantier : le maire caresse le rêve de faire entrer Toulouse au prestigieux patrimoine mondial de l’Unesco. Réhabilitons donc le centre-ville, restaurons les vieux (et riches) quartiers. Place à la pierre, au meilleur des mondes, à la ville idéale de M. Moudenc.

Une cité noble, grande et vide. Il n’y aura plus tout ce bruit dans les rues, ces petits concerts de soirées estivales, ces guitaristes amateurs accroupis à la Daurade. Il n’y aura plus ces débats à La Chapelle, ces initiatives citoyennes, ces spectacles improvisés. Finis ces foyers de discours pernicieux : ils n’entrent pas dans le socle des valeurs « générales et familiales » que Toulouse doit incarner désormais. Il n’y aura plus ces dérangeants élans de joie nocturnes. Nettoyons à coup d’arrêts et de coupes fermes. Éloignons le péril jeune, cachons ces SDF que nous ne saurions voir. Doublons les effectifs de la police municipale, plaçons les rues sous l’œil des caméras, faisons du centre-ville une « Zone de Sécurité Prioritaire ». Très bientôt, le vacarme assourdissant des rues et la saleté populeuse qui l’occupe ne seront plus qu’un mauvais souvenir. Du silence, de la paix et du respect comme dans un musée.

C’est bien. Bravo. Persévérons dans cette voie et nous aurons bientôt réussi à abattre tout ce qui faisait de Toulouse une ville où il fait bon vivre.