Augustine, sujet d’étude et objet de passion inavouable

Donner à la science un visage sensuel, voilà l’idée géniale qu’a eu Alice Winocour. Pourtant, si avec « Augustine » la jeune trentenaire signe un premier long-métrage oxymorique fascinant, la résolution de l’intrigue laisse perplexe.

Paris. Hiver 1875. Le célèbre représentant de l’école de la Salpêtrière, Jean-Martin Charcot, étudie depuis plusieurs années une étrange maladie: l’hystérie. Lorsqu’Augustine, victime de crises à répétition est transférée au centre de soins parisien, elle devient un sujet d’étude fascinant, puis rapidement un objet de passion inavouable.

Déconstruction d’un mythe
_
_
Des récits de l’Athènes classique jusqu’aux travaux de Jean-Martin Charcot et de Sigmund Freud, l’hystérie (du grec è uteria, l’utérus), est considérée comme un trouble essentiellement féminin. Perçues même comme de véritables sorcières, les femmes qui en souffrent périssent sur l’échafaud. Il faut dire que les « possédées » font peur et la Salpêtrière ne fait pas figure d’exception. L’atmosphère de l’hôpital tient d’ailleurs du fantastique: les patientes échevelées, édentées pour certaines ou encore estropiées, sont victimes de crises émotionnelles plus ou moins impressionnantes, qu’elles exhibent sans pudeur à l’écran. Mais la réalisatrice en rajoute en parsemant de-ci-de-là des extraits de la BO du Dracula de Francis Ford Coppola. Clin d’oeil narquois donc d’Alice Winocour, qui dès les débuts d’Augustine s’applique à reproduire avec le plus de détails possibles ce musée des horreurs.
_
_
Mais rapidement, la farce laisse place à un discours plus subtil: au-delà de la maladie fantasmée, l’hystérie bien réelle que tente de soigner le professeur Charcot, interprété par Vincent Lindon, est complexe. Entouré de ses 200 malades, il classe, ordonne, répertorie l’ensemble de leurs symptômes. Mais pour bénéficier des bons soins du praticien, la concurrence est âpre, car seuls les « cas » les plus extraordinaires se succèdent à la Salpêtrière. L’objectif est simple: en poussant ces possédées à se donner en spectacle, Charcot espère persuader l’Académie de lui accorder les fonds nécessaires pour terminer ses recherches. Sorcières certainement pas donc, mais cobayes assurément.
_
_

Prémices du féminisme
_
_
En se prêtant au jeu, Augustine, incarnée à l’écran par Stéphanie Sokolinski, livre à son public un spectacle admirable. Interprète insolente et aguicheuse de la maladie, elle s’applique à reproduire sous hypnose les crises de désir qui la saisissent. Aussi comme Saartjie Baartman, la Vénus Noire d’Abdellatif Kechiche, le corps d’Augustine, animé d’un mal étrange et séducteur, attise la tentation autant que la curiosité.

Mais la jeune malade que s’est choisie le professeur Charcot, incarne à merveille l’ambivalence de cette femme libidineuse, qui à mesure qu’elle dompte son corps, conquiert sa liberté. Offerte en pâture à une assemblée d’hommes bien mis, hauts représentants de la bourgeoisie du XIXème siècle, elle ne se dérobe pas. Mais face aux sévices corporels humiliants que lui impose au nom de la guérison le professeur, Augustine s’indigne. Désireuse de mettre fin au traitement, elle se voit opposer le mépris de celui qu’elle n’avait encore jamais vu comme un maître.
_
_
En dépit de la camisole psychologique et sociale que lui imposent à la fois la maladie et son statut de domestique, Augustine, en s’affirmant en tant que femme, s’arrache à son destin. C’est finalement parmi les hommes, comme leur égale, que l’héroïne, figure chancelante d’un féminisme naissant, quitte affranchie et libérée de la maladie la Salpêtrière.

_
_
La science à visage humain
_
_
Indéniablement la grande force du film réside dans la confrontation entre deux univers antagoniques: celui du scientifique objectif et froid et celui de cette femme dévorée par un désir qu’elle ne peut contenir. Après les crises qu’elle reproduit sous hypnose, dans les journaux qui relatent les désormais célèbres « prouesses d’Augustine », tous les savants sont unanimes: « la nouvelle protégée de Charcot est éblouissante et à travers son corps, le désir semble réincarné ».

Les diagnostics de ces représentants de la doxa s’écartent ainsi de la droite raison, pour laisser libre cours à la spontanéité des sens. Tout au long du film donc, les scènes d’auscultation mettent en évidence la sensualité des corps, retranscrite à merveille par la force diaboliquement charmeuse de ces figures ensorceleuses. Mais la réalisatrice n’en garde pas moins la tête froide: les courts entretiens réalisés avec les patientes à la façon d’un documentaire donnent la parole à celles qui hors des laboratoires ne sont que des malades.
_
_
En jonglant entre réalisme et suggestion, Alice Winocour parvient ainsi à redonner à la science son sens essentiel: face à la caméra, elle devient l’étude du corps charnel comme science poétique. Et pour le coup dans le film, c’est l’écrivain Maupassant lui-même, qui reste insensible aux charmes de la muse Maladie. Il est décidément des saisissements que seule la science peut connaître…
_
_

La maladie d’amour ?
_
_
Mais il n’en demeure pas moins que les symptômes du désir ne sont décidément pas encore l’amour. La tension magnifique qu’Alice Winocour parvient à dessiner entre les deux acteurs perd finalement tout son sens dans la confusion des genres. En auscultant, palpant, disséquant tout au long du film les marques du désir, la réalisatrice ne parvient qu’à esquisser le reflet d’un amour objectif, essentiellement vécu à travers les preuves physiques. Le refus de s’alimenter d’Augustine, les visites nocturnes du professeur à sa patiente, l’intimité des deux personnages, apparaissent ainsi comme les affirmations incontestables d’un amour naissant.

Mais la froideur du scénario imaginé par Alice Winocour détruit la passion qui unit les deux amants. Alors que l’union entre le scientifique et cette représentante du plaisir féminin promettait une belle prouesse cinématographique, dans l’intimité les deux personnages perdent leur souffle et le film s’effiloche. Comme si au-delà des preuves, rien n’avait de sens. Dommage…