Eloïse n’a pas grand’chose à voir avec les catholiques « ultras » des manifestations anti-Golgota Picnic. Etudiante à Sciences-Po dans le master « Risques, sciences et environnement », elle parle sans détours de sa vision de la religion et de la religion tout court. Entretien tout sourire avec une pratiquante atypique.

« Univers-Cités » : Quelle éducation religieuse as-tu reçu ?

Eloïse: Je ne peux pas vraiment parler d’éducation religieuse, je ne suis jamais allée au catéchisme, et c’est moi qui ai demandé le baptême, à l’âge de 11 ans.
Mes parents se sont rencontrés quand ils étaient jeunes dans une « communauté nouvelle » : c’était ce qu’on appelle un mouvement « charismatique », très axé sur la prière (par opposition au courant plus traditionnel). A cette époque, il y a eu un renouveau dans l’Eglise, en parallèle à d’autres mouvements de société nés de mai 68. Cette expérience a complètement changé leur rapport à la religion et à la foi. Mon père est aujourd’hui agnostique, voire anticlérical.
Mais notre mère nous a emmené dans ses croyances du moment : j’ai découvert l’église orientale très jeune (les orthodoxes et la branche orientale de l’Eglise catholique). On a fréquenté des monastères orthodoxes, melchites, et quelques communautés à Toulouse (à Bonnefoy par exemple). Moi qui était un peu farouche vis-à-vis de l’Eglise, ça m’arrangeait bien d’être orthodoxe, même si c’était un peu le fruit du hasard, parce que je n’avais pas à me soumettre à l’autorité de qui que ce soit. Mais finalement j’ai choisi l’Eglise catholique – en faisant mon baptême dans un monastère orthodoxe.

Quelles sont les différences entre l’Eglise orientale et le catholicisme? Au niveau des croyances, de la hiérarchie ?

La principale différence, c’est que la religion ne se transmet pas par les cours mais par l’expérience, la fréquentation des lieux de culte, des icônes, et par la prière : c’est la « mystagogie ». L’Eglise orthodoxe en France, c’est surtout des communautés d’immigration. A Toulouse, il y a plusieurs communautés : russes et roumaine surtout.
La hiérarchie dépend de ces communautés et des différentes Eglises nationales, et de ce qu’on considère comme hiérarchie. Après, il y a des points de théologie très précis sur lequel il n’y a pas d’accord entre catholiques et orthodoxes, mais ça reste des choses très proches.

Une fois étudiante à Toulouse, tu as fréquenté une communauté ?

Je me suis engagée dans la pastorale étudiante et j’habitais à la « fraternité » de la rue Valade. Une fraternité, c’est très différent d’une communauté, c’est juste une union autour d’un projet. On était une petite dizaine à vivre là. Le foyer étudiant est un lieu très ouvert, avec plusieurs salles communes. Moi, je rapproche plutôt ça d’une « coloc étudiante ». En tous cas, ça n’avait rien à voir avec une pension religieuse.

Une pastorale, qu’est-ce-que c’est exactement ?

Comme une paroisse, la pastorale est une petite partie du diocèse de Toulouse. La paroisse regroupe un secteur, tandis que la pastorale représente une population (les étudiants, les personnes âgées…). Pour habiter au foyer, chacun devait avoir une responsabilité dans notre projet ; moi c’était le pôle accueil. Le but, c’était de faire de la pastorale un lieu convivial ; j’organisais par exemple de grands repas pour les étudiants après la messe.

Qu’est-ce que t’as apporté cette expérience ?

Ce projet est venu à un moment où j’hésitais sur la place à accorder à la foi dans ma vie. Je sentais du désespoir dans beaucoup de choses qui m’entouraient, je me rendais compte que le monde n’était pas vraiment rose. La foi, c’est croire aux choses invisibles, c’est croire au mystère de la personne, c’est croire qu’on tend vers une autre vie, que la vie a beaucoup de sens.
Au début, j’avais besoin de formuler plein de critiques, de doutes. Je ne supportais pas les prières en latin par exemple, je trouvais ça excluant. Quand je prie pour moi, je continue à le faire en français.

Tu ne penses pas que la religion catholique aurait besoin d’être renouvelée sur certains aspects ( la messe en latin, les positions du Vatican sur l’usage du préservatif…) ?

Pour moi, la question c’est avoir confiance en l’Eglise ou pas. Si je me la pose, il faudrait que je m’asseye sur une chaise et que j’examine toute l’Eglise à la loupe toute ma vie avant de pouvoir dire oui à telle ou telle croyance. J’ai choisi de faire confiance ; c’est très important pour faire partie d’une Eglise. Pendant mon année à la fraternité, j’ai vraiment pu confronter toutes mes questions, et on m’a répondu. Du coup, ça m’a permis de voir qu’il y avait souvent des incompréhensions très fortes, que la doctrine est souvent mal comprise, mal interprétée, utilisée.

Tu ne trouves pas qu’il y a des positions de l’Eglise catholique particulièrement en décalage avec la société? Par exemple la condamnation de l’avortement ?

Evidemment, je me pose des questions, c’est la confrontation de la spiritualité à la doctrine. Quand on observe précisément la doctrine, on attend forcément un renouvellement. Mais le propre de cette doctrine, c’est d’être habitée par la spiritualité, sinon c’est une coquille vide. Je ne pense pas qu’il faille tout changer, je cherche d’abord à comprendre ces positions de l’Eglise.Peut-être qu’aller au fond des choses, c’est ça qui apporte la nouveauté.
Par exemple sur les questions de « défense de la vie », (l’avortement et la contraception), l’Eglise a des positions claires. Moi, l’avortement ça m’interroge plus largement sur la maîtrise du vivant.
Dire « je ne peux pas le garder », je trouve ça très étonnant, ça te retire quelque chose. Moi, je m’estime vraiment libre vis-vis de tout ce qui est impératif financier ou moral (ce que dit ta famille, comment je vais continuer mes études…). Tu galères ou pas, tu es soutenue ou pas, mais la vie continue. Le cas s’est présenté pour nous [son mari et elle : Eloïse est maman depuis peu], on choisit de faire confiance.

La vie étudiante est-elle compatible avec la pratique d’une religion?

Non, la religion n’est pas du tout inconciliable avec les études, au contraire ça se nourrit vraiment. Faire des études (de sociologie notamment) m’a amené à me poser des questions. Mais pour moi la foi, c’est une énorme liberté : tu peux vraiment te soustraire à tous les déterminismes. Pourtant je reconnais l’importance d’une communauté, d’une rigueur, de la prière, de la fréquentation des sacrements. C’est une façon de reconnaître sa faiblesse, de savoir qu’on n’est pas infaillible. La communauté des chrétiens ça permet de se soutenir.
C’est vrai qu’à la fraternité, j’ai vécu des choses bien plus passionnantes que les études, donc je les ait un peu négligées à cette période…
Pour moi, la foi est centrale. Donc elle est compatible avec les études ou n’importe quelle type de vie ; en fait, c’est ma vie sans la foi qui ne serait pas compatible avec moi-même (rires).

As-tu déjà reçu des critiques par rapport à la religion ?

Il y a beaucoup de préjugés et d’incompréhensions, souvent des discussions un peu tendues. Beaucoup de professeurs par exemple ont eu un vécu assez difficile avec la religion, et l’érigent comme une vérité. Du coup, moi j’ai tendance à débattre, mais c’est tant mieux, ça ne me dérange pas du tout. Il y aussi beaucoup d’incompréhensions et de débats entre les croyants. Pour moi, la soumission c’est difficilement compatible avec la foi. Quand tu crois, tu as ton libre arbitre, tu ne peux pas dire amen à tout justement.

As-tu envie de convaincre les autres?

Je ne me sens pas de mettre ma foi de côté, donc forcément dans les discussions profondes ça revient souvent, mais c’est plus de l’ordre de l’échange. Je me sens libre aussi d’inviter des personnes à venir connaître l’église, prier ou assister à des messes. A certaines périodes, je ne le sentais pas du tout parce que j’avais pas du tout confiance dans l’Eglise et que je trouvais ça horrible, je ne savais même pas pourquoi j’étais là. Parfois, j’ai vu des réactions très surprenantes, des gens touchés par ce qui se disait. Parfois des réactions négatives aussi, mais toujours avec beaucoup de respect. En tous cas, le prosélytisme, c’est beaucoup trop violent, surtout par rapport à soi-même.

Est-ce que tu penses que ta religion t’as incitée à faire certains choix, qu’elle te différencie des autres étudiants?

C’est assez personnel, mais non, je ne crois pas être très différente… Ce que la foi a changé pour moi, c’est surtout une question de sérénité, et le fait de ne pas être attirée par la violence. Je suis très intéressée par l’autogestion, avant j’allais à beaucoup de rassemblements libertaires… Et dans ce courant-là, la question de la violence se pose.