C’est avec le sourire et quelques friandises que Liu Hong Fei et son amie, deux étudiants chinois en AES, ont rencontré « Univers-Cités ». Mais au moment de répondre à des questions liées aux révolutions arabes, à la liberté de la presse, ou ne serait-ce qu’à l’idée de démocratie, l’étonnement se lit sur leurs visages et les réponses sont plutôt vagues, voire fuyantes.

La Tunisie, l’Égypte, la Libye, la Syrie…et la Chine ? Cette question est souvent revenue dans les médias en 2011. Comment les Chinois perçoivent-ils le printemps arabe? D’après Erik Izraelewicz, directeur du Monde et par ailleurs, spécialiste de la Chine, les révolutions arabes « ont inspiré une grande peur au sein de l’élite chinoise », déclarait-il dans un hors-série du Monde, intitulé « Le siècle chinois ». Cette inquiétude était toutefois bien fondée : une sorte de « mouvement du Jasmin » chinois avait été lancée depuis l’étranger en février 2011 en Chine, sous forme de « promenades » dominicales ; le mouvement né sur Internet a été sévèrement réprimé. Comme le précise Jean-Philippe Béjà, chercheur au CNRS et au CERI-Sciences Po, dans un entretien avec Le Monde : « les révolutions arabes ont naturellement parlé à tous ceux qui en Chine cherchent à se battre pour la démocratie ».

Une impossible révolution

La question était donc de savoir ce qu’en pensaient ces étudiants chinois venus étudier en France. Mais au moment d’aborder le sujet, la réaction est étonnante. Liu Hong Fei et son amie échangent un regard dubitatif et tentent de se remémorer ce qui s’est passé. Au bout de quelques minutes, le jeune Chinois demande : « On parle de Kadhafi ? ». Pour les deux amis, difficile de comprendre ce qui s’est produit dans le monde arabe, encore plus de situer les pays concernés.

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Après quelques précisions apportées, Liu Hong Fei finit par donner son sentiment : « Pour nous, ces révoltes n’ont pas d’influence en Chine. De toute façon, une révolution, ce n’est pas possible. Vue la taille du pays, tu imagines le nombre de morts que ça ferait ? ». L’étudiant marque une pause et prend un air outré. « Et après ? Que se passerait-il ? On se retrouverait sans politique, sans économie. Nous avons suffisamment connu de révolutions meurtrières en Chine. Nos aînés n’accepteraient jamais de revivre de tels moments ».

« On s’en fout de la politique »

Pour l’étudiant chinois, la révolution est impensable. « Ce qu’il faut, c’est un changement en douceur. On doit corriger le régime petit à petit. D’ailleurs, on le voit bien, certains commencent à critiquer le gouvernement. Internet est important à ce niveau là ». Attentive jusqu’ici, son amie finit par intervenir : « De toute façon, on s’en fout de la politique. C’est rare que les Chinois en parlent. Mais toi, pourquoi tu t’intéresses à la politique en Chine ? Moi ce qui m’intéresse en France, c’est la gastronomie ou la culture par exemple ». On l’aura compris, la vie politique est très éloignée de leur préoccupation.

Pourtant Liu Hong Fei sait que certaines choses devraient changer. Il parle de facultés trop chères, du coût de la vie trop élevé, de l’immobilier aux prix exorbitants…Mais il avoue que « c’est difficile de critiquer quand on a l’habitude de vivre comme ça ». Son amie est loin de partager cet aveu : « A quoi ça sert de critiquer le gouvernement ? La Chine est bien comme elle est ».

Une autre vision de la liberté de la presse ?

Ils s’informent mais seulement sur des sites chinois. Ce qui se passe en France ne les intéresse pas et les rares fois où ils ont lu des articles français, ils n’étaient pas très satisfaits : « J’ai lu « Le Monde » et je trouve qu’il critique trop notre pays. Les informations ne sont pas correctes. Les Français parlent de la Chine sans la connaître tout en écrivant de grandes généralités non fondées », déplore la jeune étudiante. Son ami complète : « Et puis il y a cette vision très occidentale de penser qu’il n’y a pas de liberté d’expression ou de liberté de la presse en Chine. Moi je n’ai pas l’impression qu’on ait le droit de rien dire ».

Quand on aborde l’arrestation et l’emprisonnement de Liu Xiaobo, journaliste et militant des droits de l’homme, les deux étudiants restent sans voix. « On ne sait pas qui sait ». Direction Wikipedia, version chinoise, les deux amis scrutent l’écran. Leurs visages restent impassibles. Vexés ou indifférents, aucun moyen de le savoir. Quoi qu’il en soit, l’échange s’arrête là, ils doivent partir, « nous n’avons pas terminé notre travail pour les cours ».