Vingt trois familles de sans papier ont passé la nuit du 16 octobre à la belle étoile, dans un campement de fortune sur la place du Capitole. J’ai suivi pendant deux jours l’improbable combat des clandestins et des associations pour retarder leur expulsion du territoire.

Lundi 16 octobre

19 heures.
Un attroupement inhabituel se tient sur le parvis du Capitole. Des manifestants en file indienne installent des matelas de part et d’autre de la Croix du Midi. 90 sans papiers, soutenus par une kyrielle d’associations, vont tenter d’obtenir un renouvellement de leur hébergement en rejouant un nouveau Cachan à ciel ouvert, sur la place du Capitole. Les clandestins, enveloppés dans des couvertures de laine, se sont installés dans ce campement de fortune et observent hagards la tournure insolite que prend l’événement. La foule de manifestants, militants de RESF, la Cimade ou de la Ligue des Droits de l’Homme, a formé un cercle autour des familles et prend racine sous les regards étonnés ou indifférents des badauds. Des représentants associatifs répondent aux questions de plusieurs journalistes qui noircissent fébrilement leur carnet tandis qu’une première patrouille de policiers s’installe derrière des barricades non loin de la manifestation.

21 heures.
Les manifestants font des allers retours vers des buffets dressés par les associations pour motiver les troupes. « On tiendra le temps qu’il faudra mais on ne les laissera pas à la rue, même si on doit être hors la loi » lance Tristan, de la Ligue des Droits de l’Homme. Les policiers qui surveillent le campement sauvage étendent leur périmètre de sécurité et empiètent de plus en plus sur les manifestants. Trois voitures et une camionnette de police ont été appelées en renfort et le nombre d’uniformes autour de la foule a quasiment triplé. Atmosphère, atmosphère… La tension est palpable mais les représentants d’associations continuent à haranguer les noyaux durs de militants qui font bloc autour des clandestins. Policiers et manifestants jouent un jeu chinois de patience en espérant que le froid et la tombée de la nuit pousseront la partie adverse à l’abandon. Les associations tentent de retenir les manifestants épuisés qui quittent en petit groupe la place du Capitole. Les forces de l’ordre, conduites par le préfet semblent tergiverser et se voient régulièrement renforcées par de nouveaux véhicules.

23 heures.
Les journalistes de France 2 fascinés comme moi par l’ambiance électrique de la soirée piétinent en enregistrant les réactions d’un représentant politique qui grelotte héroïquement sous le ciel étoilé. On parle d’un « Cachan bis », de situations ubuesques et d’oubli des lois de l’hospitalité. Les policiers qui redoutent un dérapage devant des rangées de journalistes n’interviendront pas et laisseront les derniers manifestants se disperser vers 4 heures du matin. Pas d’image choc donc pour les caméramans qui quittent les lieux, amers, le dos voûté par la lourdeur de leur appareil. Le bras de fer qui a opposé associations et forces de l’ordre est reporté mais la mobilisation continuera le lendemain, murmure-t-on dans la foule.

Mardi 17 octobre

16 heures.
François Simon, ancien militant socialiste récemment passé aux Alternatifs, a ouvert des locaux du Crédit Municipal, 27 rue des Lois, aux familles sans papiers en espérant ainsi faire pression sur la mairie et la préfecture. Des caméramans de LCI, I-Télé sont déjà présents et enregistrent les protestations angoissées d’une mère congolaise qui attend avec un enfant dans les bras. Des pigistes de la presse régionale et des journalistes de radios ont été envoyés sur les lieux et braquent avidement leurs objectifs sur les sans papier présents, triés sur le volet par les associations. Une décision préfectorale tombe vers 17 heures, les clandestins seront finalement relogés jusqu’au mois de décembre, date fatidique à partir de laquelle les expulsions seront suspendues « pendant la trêve hivernale ».

18 heures.
La crise est résolue et le feuilleton sans papier se termine plutôt bien pour les clandestins Roumains qui « à partir de janvier 2007, deviendront des citoyens européens». Pour les autres, c’est toujours le brouillard…

Les clandestins toulousains auront un répit de quelques mois. Je me demande quel avenir, quels sentiments ils perçoivent pour ce pays qui n’est pas le leur et qui ne semble pas vouloir d’eux. Des hommes et des femmes conduits par un rêve fou aux allures de mirage et condamnés à l’errance.