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« Si les flics viennent vous chercher, appelez-moi sur mon portable. Je téléphonerai à tous les profs, et on ira se coucher sur le tarmac pour vous empêcher de partir. » C’est le soutien de l’équipe pédagogique du lycée George-Sand à Toulouse à la famille de deux élèves réfugiés sri-lankais Rajmithun, 15 ans, et Rajsaran, 16 ans.

La scène redoutée n’a pas eu lieu car les papiers ont été accordés en septembre 2007 à la famille Thavaradjah après un bras de fer administratif de presque trois ans. Leur mère, Sakundali Thavarajah, professeur de mathématiques de 45 ans, résume ainsi les mois traversés : « Lettre de demande d’asile. Refus. » Et ainsi cinq fois de suite depuis avril 2004. De la peur d’être arrêté, qui pèse à chaque point du jour d’un immigré clandestin, Sakundali ne dit rien. Pourtant, elle et ses deux fils ont été ballotés de chambres d’hôtel en planques au gré d’aides improvisées. Au début, le frère de Sakundali, Sri Lankais en situation régulière à Toulouse, avait accueilli sa famille chez lui.

Puis cet été, la famille s’est séparée afin de réduire les risques d’arrestation. Les profs du collège et l’Eglise évangélique leur apportaient des vêtements et de la nourriture. Mais la précarité et la peur d’être arrêtée ne sont pas les seules choses qui pèsent sur son coeur. En effet, au Sri Lanka la guerre civile entre le parti d’opposition tamoul et l’Etat cingalais a tué 60 000 personnes depuis 1983.

« A partir de 2002, je n’ai plus reçu de nouvelles de mon époux. Je ne sais toujours pas s’il est vivant »

Sakundali raconte : « Ma famille est originaire du Nord Tamoul. En 1995, l’armée cingalaise a pris notre maison. En 2000, mon mari est venu en France pour travailler comme journaliste. A partir de 2002, je n’ai plus reçu de nouvelles de mon époux. Je ne sais toujours pas s’il est vivant. » Alors en avril 2004, Sakundali part en France avec ses deux derniers nés tenter de retrouver son mari. La famille arrive à Bagatelle, les enfants rentrent au collège George-Sand. Elle reçoit de temps en temps des nouvelles de ses deux fils aînés : ils sont soldats dans le parti tamoul.

Des expulsions de familles en situation illégales sont fréquentes au collège George-Sand, classé ZEP. Certains élèves commencent une scolarité sur les chapeaux de roues. Ils intègrent à la fois le choc culturel, l’apprentissage du français, et les problèmes quotidiens des clandestins. « Ils viennent en cours, et puis parfois, ils doivent repartir très vite à la frontière, confie Dominique Massalle, enseignante. J’ai toujours une ombre dans la tête quand je travaille ».

Cliquez ici pour lire Entretien avec Julien Brel, avocat spécialiste du droit des étrangers.

Cliquez ici pour lire l’article sur la mobilisation contre les quotas.

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«On en arrive à des situations absurdes»

Entretien avec Julien Brel, avocat spécialiste du droit des étrangers.

j-brel_nb_.jpg Que risque-t-on lorsque l’on héberge des étrangers en situation irrégulière ?

Selon l’article L 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la peine maximale encourue est de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Mais heureusement, ce type de sanction n’est jamais appliqué dans la réalité. Il serait tout de même délicat pour la justice française de condamner des personnes qui ont agi dans un but humanitaire. Néanmoins de lourdes peines sont prononcées à l’encontre des marchands de sommeil qui exploitent les immigrés sans papiers en échange d’un toit où dormir.

Quelles sont les autres méthodes utilisées frequemment pour aider les sans-papiers ?

Le plus courant ce sont les resistances aux reconduites à la frontière dans les aéroports. Les passagers protestent lorqu’ils voient une personne entravée et parfois brutalisée par les policiers. C’est un délit de libre circulation des aéronefs, puni par des sanctions pécunières. L’aide au séjour irrégulier peut aussi prendre la forme d’organisation de mariages blancs.

Quelles est la période de l’année la plus risquée pour les personnes en situation irrégulière sur le sol français ?

C’est bien évidemment les vacances d’été. En 2006 une circulaire de Nicolas Sarkozy interdisait l’expulsion des enfants scolarisés. Alors évidemment les grandes vacances sont le moment propice des reconduites à la frontières. C’est aussi socialement plus compliqué, en période scolaire, de venir chercher un enfant à la sortie de l’école. Les parents d’élèves sont souvent très prompts à se mobiliser. Mais malheureusement, au mois d’août à Toulouse, le réseau militant est pratiquement inexistant.

La situation des sans papiers a-t-elle changé depuis la mise en place d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ?

À cause de ce quota de 25 000 étrangers à renvoyer chez eux avant la fin de l’année, on observe un changement dans la méthode des policiers. Maintenant, il est très fréquent de venir chercher des étrangers directement à leur domicile pour les expulser. Leur adresse est connue car nombre d’entre eux la mentionnent en remplissant des dossiers de demande d’asile. On en arrive à des situations absurdes. J’ai vu un Malien, qui avait déjà acheté son billet d’avion pour rentrer chez lui, se faire expulser à la charge du contribuable.

Mobilisation contre les quotas

Nicolas Sarkozy avait donné jusqu’à la fin de l’année au ministère de l’Immigration pour atteindre les 25000 expulsions d’étrangers en situation irrégulière.

Six mois après la mise en place de ce ministère très controversé, certains Toulousains continuent à aider et protéger les clandestins. Si les plus menacés restent les sans-papiers, leurs familles ou les particuliers qui les hébergent encourent néanmoins certains risques. Plusieurs associations comme la Cimade ou le Réseau Education Sans Frontières (RESF) s’activent pour soutenir les clandestins dans leur quête de titres de séjour. Des avocats défendent leurs dossiers, des professeurs se mobilisent pour leurs élèves et des anonymes participent à cette chaîne de solidarité.

A l’arrivée en France, un étranger doit se présenter à la Préfecture pour demander un titre de séjour. Il doit ensuite s’adresser à l’OFPRA – Office Français de Protection des Etrangers et des Apatrides- pour formuler une demande d’asile. Soit il obtient le statut de réfugié, bénéficie d’un asile subsidiaire d’unan, ou doit repartir dans son pays dans un délai de un mois.