Dans la Ville rose, le stand-up se régénère depuis la fin de la période Covid. La nouvelle vague d’humoristes toulousains se structure et réussit son pari.
Les lumières sont allumées, le micro est branché, la musique est lancée. Zéphyr ajuste la caméra pour les enregistrements. Ça y est, tout est prêt. C’est parti pour une heure de rires. Quatre stand-uppers et une stand-uppeuse s’enchaînent devant une trentaine de curieux ou d’habitués. Dans la cave intimiste et l’ambiance feutrée du Little O’Clock, l’humour réserve sa place tous les mercredis à 20h30.
Il y avait un peu de retard ce soir-là. « C’est toujours comme ça » ricane Athina Nourby, étudiante en première année de prothèse dentaire, et spectatrice « assidue ». « C’était le bon moment pour venir » dit-elle, en référence à toute la machination installée pour l’occasion. C’est la nouveauté de cette septième représentation : la soirée est filmée pour diffuser les meilleurs extraits sur les réseaux sociaux. « Avec Internet, on peut créer des carrières » dégaine Magby M’bark, 25 ans, humoriste et en charge avec Zéphyr de la soirée nommée « Blague Buster » du bar.
LE NOUVEAU MODÈLE DU STAND-UP
Avec six autres amis unis par la même passion, il a créé l’association « Superset » l’été dernier, afin de proposer des spectacles de stand-up dans des bars de la ville. Ils s’occupent de toute la partie logistique, avec la mise en place du matériel, la programmation, ou encore la billetterie. En échange d’un « lieu d’accueil », comme le dit Floriane Murat, chargée de clientèle au Florida, le restaurant cent-cinquantenaire de la place du Capitole. « Chacun ses compétences, les rôles sont bien partagés, et ça marche très bien comme ça » ajoute-t-elle.
Depuis, sept lieux ont accepté les propositions de la structure. « On veut être présents pour tous les publics et sur tous les quartiers de la ville » explique Nathan Chabrot, autre membre de l’association. Chaque lieu est géré par un « référent » de l’association pour mettre en place des ambiances différentes. L’idée est de toucher un large public, qui commence à s’intéresser au stand-up. Julie, Faustine et Laura ont la vingtaine et ont assisté au « Blague Buster ». « C’est un bon moyen de passer une soirée entre amies et rigoler, ça change un peu des soirées classiques » se réjouit l’une d’entre elles. Un aspect innovant et original avancé aussi par Athina : « Il y a une bonne ambiance, c’est bienveillant. On est sûr de passer une bonne soirée. »
A Toulouse, « tous les éléments sont bons pour développer le stand-up » s’exprime Madgy. La population étudiante, les sketchs aux millions de vues sur les réseaux sociaux et un « public charmé par le théâtre », comme le dit Nathan, favorise l’essor de cette culture.
Et pourtant, tout ne fut pas si simple. « En 2019, on était 12 stand-uppers dans la ville. Aujourd’hui, on est 40 » raconte Madgy. Pourtant bien parti il y a dix ans grâce au spectacle « Le Comptoir du Rire » lancé par Haroun et Frédéric de Zotti, le stand-up a été victime de son succès. Les meilleurs sont partis vers la capitale, laissant derrière eux un potentiel non atteint dans la Ville rose. Avant le Covid, seulement deux scènes par mois étaient proposées, dans le bar « Ô Boudu Pont » et au Toulouse Comedy Night, qui a fermé depuis. La période de confinement a calmé les ardeurs, mais a permis de prendre le temps de faire germer des idées nouvelles.
UNE NOUVELLE VAGUE D’HUMORISTES
Le « Fais-Moi Rire Comedy Club » est lancé quelques mois plus tard par Kevin et Scott. Ils ont « l’espoir de vivre de ça » et se consacrent intégralement dans le projet en avril 2022. Là aussi, même idée : proposer des spectacles de stand-up dans les bars de la ville. En deux ans, ils ont organisé plus de 400 spectacles, et, désormais, « ce sont les lieux qui nous appellent. » A raison de 15 soirées par mois, les salles sont pleines. Des petits théâtres proposent leurs scènes et des entreprises les appellent pour des soirées stand-up, preuve de la vitalité du genre. « 2022 a été un test. 2023, c’était l’année du stand-up à Toulouse », s’extasie Kevin.
Aujourd’hui, il existe aussi « La Fabrique du Rire » au Kalimera et le « Goat Comedy Club » au Père Peinard. Ces quatre structures développées très récemment ont conquis les bars partenaires. « C’est du gagnant-gagnant » avance Floriane Murat. C’est aussi un moyen d’attirer un public différent. « On a des gens qui viennent des villages alentours » se satisfont James et Laurie, gérants du Little O’Clock. Au Kalimera, dans le quartier de Compans-Caffarelli, James, le manager, est heureux d’avoir « soixante personnes tous les lundis. Ça nous permet de diversifier l’offre et de créer de l’animation les soirs de semaine un peu moins dynamiques. » Même le Bullrush, un bar à vocation sportive, a osé l’aventure et propose du stand-up deux jeudi par mois.
Maintenant que le stand-up dans la Ville rose a « vraiment explosé », dixit Kevin, que faire ? Une unification des quatre structures ? L’idée est venue, mais « ça n’a pas pris » élude-t-il, reconnaissant que « chacun fait du très bon travail, mais avec un style différent. » La ville, portée par la crédibilité des anciens et « l’engouement » de la nouvelle vague, que ce soit en termes d’artistes que de spectateurs, pourraient faire brûler les ailes. « Le plus important pour que ça fonctionne, c’est de rester lucide » tempère Magdy. Et la création d’un Comedy Club ? Il est encore tôt, mais Nathan ambitionne de « mettre Toulouse sur la carte de l’humour francophone. » Pour l’instant, c’est bien parti.
Crédit photo : Madgi M’bark sur la scène du Little O’Clock, Célestin Barraud