De Grandes espérances est le nouveau film du réalisateur Sylvain Desclous. Ce thriller politique met en scène Madeleine, tout juste diplômée de Sciences Po Lyon. Alors qu’elle s’apprête à passer les concours de l’ENA, un drame survient. La narration suit alors l’entrée sinueuse de la jeune femme en politique, entre mensonges et jeux de pouvoir. Sylvain Desclous, nous parle de son film.

De Grandes Espérances – Réalisation de Sylvain Desclous – 2023 © The Jokers

De grandes espérances est votre nouveau film, il reste au cœur d’un thème qu’on retrouve en fil rouge dans vos films : la politique. Qu’il y t’il d’intéressant dans le fait de filmer l’exercice du pouvoir ? 

Il y a quelque chose de très mystérieux dans le pouvoir. Je ne sais plus qui disait, « Le pouvoir plus tu t’en approches, plus tu t’en éloigne ». C’est ça qui est intéressant dans le fait de le filmer : c’est un objet très cinématographique : il est irréel, énigmatique et surtout il est partout. Je trouve très intéressant de filmer le pouvoir en action : filmer très concrètement ce qu’est le pouvoir politique, comment il s’organise, qui sont les hommes et les femmes qui le ‘font’. J’avais envie de donner l’impression que la caméra était posée là, et que le spectateur entre comme par effraction, dans ce monde qu’il ne connait pas très bien par toutes les représentations qu’on peut en avoir.   

D’autres auteur.ices se sont prêtés à l’exercice, tout support confondu, Mathieu Sapin dans la Bd, Victor Scholler avec son film « L’exercice de l’Etat », les œuvres a mi-chemin entre la fiction et le documentaire se multiplient. Quel rôle jouent les artistes dans la représentation de la sphère politique ?

Les relations entre l’art et le politique sont chiens et chats, ça mord, ça griffe.  Je ne suis pas sûr que le rôle intrinsèque des artistes soi d’aider à la compréhension de la chose politique. Par contre, si des œuvres comme Quay d’Orsay de Blain ou bien L’Exercice de l’Etat de Pierre Schoeller peuvent contribuer à faire sauter l’image mentale clichée qu’on a de la politique alors c’est déjà pas mal. Ces œuvres peuvent éclairer les citoyens sur les enjeux politiques. Le choix que le film se déroule dans un cabinet de député est aussi intéressant car c’est assez peu vu. J’ai choisi de montrer le travail d’une député de province, dans un arrondissement populaire de Lyon. Je voulais montrer le fonctionnement pur et simple, la ‘technique’. Comment constitue t’elle son cabinet ? Comment écrit-elle ses discours pour les débats parlementaires ? Ce sont des questions qui m’intéressent et que j’avais à cœur de raconter.

Emmanuelle Bercot joue Gabrielle Dervaz, une député PS – © The Jokers

Votre film s’appelle De Grandes Espérances, une référence directe au livre de Charles Dickens, qui met en scène la vie, l’ascension et la déchéance sociale de son héros Philip Pirrip « Pip ». Dans le film, Madeleine est une jeune femme qui sort de Sciences Po Lyon, la seule boursière à sortir major de sa promo. Elle va faire ses armes dans le monde politique et changer de statut social. Pourtant cette nouvelle sphère lui rappelle constamment son origine sociale. Est-ce que Madeleine est une Pip moderne ?

Oui, mais la politique en plus. Une autre différence majeure, c’est que dans le livre de Dickens, Pip n’a pas cette envie d’ascension sociale, c’est dur pour lui de quitter sa sœur et son beau-frère au début. Madeleine, contrairement à Pip, a cette volonté forcenée de s’extraire de son milieu…au prix de renier son père. Elle veut absolument se lancer dans la politique, elle décide de mettre sous silence son passé. La honte du milieu social, et la honte d’avoir honte sont des thèmes très importants qui sont centraux dans les discours de celles et ceux qui en parlent, Annie Ernaux par exemple ou bien Didier Eribon dans Retour à Reims. Il y a d’autres inspirations que l’ouvre de Dickens. Je pense par exemple au film Joy de David O. Russel ou encore Frances de Graeme Clifford. Ces films mettent en scène des protagonistes femmes qui évoluent dans un monde d’hommes. Ce sont des battantes qui rendent coup pour coup. C’est comme ça que je voulais écrire le personnage de Madeleine. J’avais à cœur qu’à la fin elle gagne, car pour moi c’est inconcevable autrement.

Pourquoi avoir choisi le genre thriller, alors que ce film aurait pu être simplement un film sur l’arrivée en politique d’une jeune femme des milieux populaire ?

J’avais déjà envie de me frotter au genre et aussi d’offrir un vrai plaisir de visionnage au spectateur, ce que permet de thriller. Le drame tient en haleine jusqu’au bout on ne sait comment ça se termine. Ce point de départ vient tendre chacun des enjeux qui sont dans le film. A chaque minute, ce qui se passe pour Madeleine est finalement une question de vie ou de mort. Tout d’un coup cette histoire n’est pas une chronique mais bien une véritable tragédie grecque pour laquelle on tremble jusqu’au bout pour l’héroïne en se demandant comment elle va s’en sortir.

Votre film parle d’exercice de du pouvoir…mais aussi et surtout de luttes sociales, au sein d’une usine notamment, d’Economie Sociale et solidaire et de lois sociales. Il sort aussi dans un contexte très particulier qui est celui des manifestations contre la loi de reforme des retraites. Quel écho espérez-vous que ce film puisse recevoir ?

Déjà c’est très inattendu, le film a été écrit il y a 5 ans. C’est un hasard, et à la fois j’interprète souvent les hasards comme des signes. Si le personnage de Madeleine peut donner envie aux spectateurs de s’engager, d’être militants dans la lutte sociale, donner l’envie d’aller se bagarrer ensemble. Ça sert à ça les films : ce sont toujours d’excellents prétextes. Si cela peut conduire à la réflexion, a l’envie de s’engager…et bien le film aura atteint son objectif.

De Grandes Espérances, un film de Sylvain Desclous, en salle le mercredi 22 mars 2023.

Avec Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot.

Distribution par The Jokers/ Les Bookmakers

Cités dans l’interview et pour aller plus loin :

De Grandes Espérances – Charles Dickens – 1860
L’exercice de l’Etat – Pierre Schoeller – 2011
Baron Noir – Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon – 2016 – 2020
Retour à Reims – Didier Eribon – 2009
La honte – Annie Ernaux – 1997
Joy – David O. Russel – 2015
Frances – Graeme Clifford – 1982
Alice et le Maire – Nicolas Pariser – 2019