À Toulouse, de plus en plus de gens font les poubelles plutôt que les courses. Ces glaneurs traînent à la fin des marchés ou autour des bennes à ordure à la tombée de la nuit pour récupérer des produits invendus ou périmés. Une pratique étonnante, mais de plus en plus courante.

Dimanche matin, malgré un léger crachin, les badauds se pressent devant les étals du marché Saint Aubin . Il est midi et demi, les commerçants commencent à plier bagages. Équipées de cagettes souvent bien remplies de légumes un peu abîmés, des jeunes et des moins jeunes déambulent parmi les stands pour demander les invendus et fouiller dans les piles de cartons jetés à côté.

« D’années en années, ils sont de plus en plus nombreux, déclare Romain, maraîcher de Haute Garonne. Chaque dimanche c’est dix ou vingt personnes qui me demandent ». Lola productrice de pommes confirme : « J’essaye de leur garder des caisses de côté mais l’hiver on a assez peu de déchets surtout vu le nombre de demandes. » C’est la tendance générale constatée depuis de nombreuses années. En 2015, Reporterre, le quotidien de l’écologie titrait déjà Les glaneurs de plus en plus nombreux.

Des motivations économiques et écologiques

Selon Sarah Chabane, autrice d’une étude sociologique sur la lutte contre le gaspillage alimentaire, ce renouveau est dû à deux facteurs : « Il y a une dimension écologique indéniable qui tend à valoriser socialement tout action de recyclage mais l’autre élément important c’est l’augmentation de la précarité économique. »

Édith, 19 ans, montre un plein cabas de fruits : « Je le fais parce que j’ai horreur du gaspillage même si je sais que ce n’est pas récupérer trois pommes qui va changer les choses. » Étudiants, travailleurs précaires ou vadrouilleurs, ils avancent tous cet élément symptomatique d’une génération avec la question écologique bien en tête. Selon Iris, musicienne de rue espagnole : « C’est bien car c’est moins criminalisé en France qu’en Espagne du fait de cette dimension écologiste ». Toutefois Sarah Chabane

La récup’ au marché Saint Aubin, Théo la pratique depuis des années. Photo : Maya Guillemin

tempère : « Cette pratique reste celle d’une sous-culture. Elle n’est pas du tout acceptée par la société qui la considère comme sale, dégradante et le fait de personnes marginales.»

« Ça nous permet quand même aussi de manger mieux pour rien du tout. On a même des produits bio », rappelle Théo. C’est bien l’avis de Camille : « Je ne fais de la récup’ que quand je manque de budget. » Comme la plupart des  « glaneurs« , comme les appelle Sarah Chabane, cette pratique reste celle d’individus généralement précaires. « Cela a beau s’intégrer à un mode de vie et à des revendications anticapitalistes, ça ne concerne que très rarement des gens avec un revenu solide et assuré. »

Au-delà des marchés, de nombreux glaneurs urbains récupèrent des produits périmés dans les poubelles des supermarchés. Selon le centre d’étude et de recherche sur la Philanthropie cela « concerne des individus de tous âges et de conditions diverses, la grande majorité d’entre eux ayant pour point commun d’être en butte à des difficultés économiques. »

Une législation contre le gaspillage alimentaire insuffisante

Depuis quelques années, le législateur s’est largement emparé de la question de la lutte contre le gaspillage alimentaire. La destruction des produits périmés (auparavant javellisés, broyés ou éventrés) est désormais interdite et les enseignes de grande distribution de plus de 400 m² doivent maintenant proposer des conventions de don à des associations d’aide alimentaire.

Selon Sarah Chabane, ces lois sont loin d’avoir fait disparaître les 150 kilos de déchets produits par habitant en France chaque année. « Les associations n’ont absolument pas la capacité humaine ou financière de gérer une telle quantité de déchets et ces lois permettent surtout à la grande distribution de se dédouaner sans que grand chose ne change. En plus, elles ne concernent pas les petites surfaces, le modèle de supermarché en expansion aujourd’hui », constate-t-elle.

Légende photo : un glaneur au marché Cristal / Crédit : Elie TOQUET