Grande manifestation syndicale ce jeudi 27 janvier entre les places Arnaud Bernard et Jeanne d’Arc. Sypir, prestataire de service, et Jérôme, salarié de la fonction publique territoriale, évoquent leur syndicat, la Confédération National du Travail, et font l’état des lieux du syndicalisme en ce début d’année 2022.

Qu’est-ce que c’est la Confédération nationale du travail?

Jérome : C’est une confédération de syndicats fondée en 1946. Elle est héritière de la CNT anarcho-syndicaliste espagnole, en exil suite au coup d’État franquiste, et de la CGT-SR (syndicat révolutionnaire) française. C’est un syndicat qui promeut et applique l’auto-gestion, c’est-à-dire que tous les syndiqués sont partie prenante de son organisation.

Sypir : C’est un courant minoritaire du syndicalisme, révolutionnaire et anarchiste. On fait de l’aide aux salariés lors de litiges mais effectivement notre objectif c’est de pousser vers des pratiques d’auto-gestion et un fonctionnement horizontal dans les entreprises. Le syndicat est ouvert aux travailleurs mais aussi aux chômeurs, aux saisonniers, aux étudiants, etc.

Pourquoi vous trouvez important de pratiquer l’auto-gestion?

J : Dans les syndicats conventionnels, les syndiqués élisent des représentants qui se professionnalisent. Il y a des salariés, avec des bureaux, des élus qui prennent les décisions. Ce sont des fonctionnements verticaux. À la CNT, c’est un travail collectif. Les mandats sont limités avec un droit de surveillance et un droit de validation.

S : C’est sûr que c’est plus difficile l’organisation collective mais c’est beaucoup plus mobilisateur et il y a moins de coupure entre les élus qui oublient le quotidien des travailleurs et les militants de base. Par ailleurs, qui dit salarié dit verticalité et donc patron. Nous on veut un monde sans patron, où les travailleurs s’organisent par eux-même.

Selon l’institut compas, le taux de syndicalisation est passé de 30% en 1949 à environ 10% aujourd’hui. Comment peut-on expliquer un tel désintérêt ? 

S :  Alors là, je peux te donner mon analyse mais je ne parle pas au nom de mon syndicat. Il y a un fort sentiment anti-syndicat aujourd’hui en France. La crise de légitimité des partis touche aussi les syndicats parce que certains élus oublient la solidarité de classe et pensent surtout à se maintenir au pouvoir. Je pense aussi que beaucoup de gens n’ont pas conscience de l’érosion de leurs droits. Le syndicalisme a gagné de nombreuses batailles, beaucoup de travailleurs croient que ça va durer pour toujours mais conserver les acquis c’est un combat.

J : L’évolution de l’organisation du travail et des entreprises a aussi un rôle. Il y a un matraquage et une répression qui découragent la syndicalisation mais en plus, les travailleurs sont de plus en plus isolés. Il n’y a presque plus de grosses usines où les gens communiquent entre eux. Les dernières inventions en date, l’auto-entreprenariat et le télétravail, montrent bien le problème. Les travailleurs ne se voient plus et donc ils ne se politisent plus. Ils n’ont plus conscience du travail que font les syndiqués.

Le syndicalisme français est largement issu de la charte d’Amiens, un texte fixant comme objectif l’autogestion anarchiste. Le syndicalisme français est-il encore révolutionnaire aujourd’hui?

J : Clairement non, la négociation est devenu le mot d’ordre de beaucoup de syndicats et je comprends que ça ne fasse pas rêver les gens.

S : À la CNT, on porte un discours révolutionnaire mais concrètement, on s’implique surtout dans l’amélioration des conditions de vie des travailleurs à court terme. On est pas du tout assez nombreux pour envisager une révolution et aujourd’hui la classe ouvrière et les classes populaires en générale ne sont plus révolutionnaires. La différence c’est que, nous, on garde un fonctionnement autogestionnaire, c’est-à-dire une prise de pouvoir du travailleur à notre échelle. Les syndicats conventionnels peuvent revendiquer la filiation de ce qu’ils veulent, dans leurs actes comme dans leurs discours, ils ne sont plus autogestionnaires.

Historiquement, le syndicalisme s’est beaucoup structuré autour de revendications pivots comme la journée de 8 heures dans les années 30 ou la semaine de 35 heures. Est-ce qu’il y a, encore aujourd’hui, de grandes revendications syndicales?

J : Malheureusement non, c’est une faille stratégique majeure. Aujourd’hui on marche pour la revalorisation des salaires mais ce n’est que de la réaction. Il y a un tel acharnement des gouvernements à détruire l’État social qu’on est maintenu dans la défense des acquis sociaux, sans beaucoup de succès d’ailleurs. Je pense qu’il faut qu’on fasse un gros travail de réflexion.

S : Oui, à mon avis, pendant longtemps les grosses centrales syndicales se sont contentées de revendiquer une revalorisation des salaires. À côté, elles ne portent plus de projet de société. Il n’y a plus de discours sur un changement sociétal allant de pair avec les revendications. C’est ça le discours révolutionnaire, c’est porter le projet d’une vie meilleure pour tous, libérée des contraintes des entreprises patronales traditionnelles.

 

Cortège rouge et noir d’une vingtaine de personnes. Photo d’entête © DR